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Sur le livre de L. Bénézech (2e partie)

Sur le livre de Laurent Bénézech Anatomie d'une partie de rugby
Deuxième partie : le rugby serait-il démocratique par nature ?

par Mezetulle

 En attaquant la lecture proprement dite (voir la 1re partie), je tombe aussitôt sur un texte introductif intitulé "Philosophie". Là, je me sens interpellée. C'est mon job d'aller y voir de près, non ?

Alors, anatomisons ce texte.Thèse principale : le rugby s'autorise de contradictions et de complexités qui rendent impossible la modélisation du déroulement d'un match (d'où l'on conclut que seule l'anatomie peut en saisir les finesses). Thèse secondaire : la passe en retrait, emblème de la contradiction rugbystique, en fait un sport éminemment démocratique par sa forme de transmission (renoncement à la hiérarchie de type "monarchique", stratégie qui évite la ligne droite, etc.).

Là encore je suis prise dans un stimulant inconfort de lecture, une alternance d'enthousiasme approbateur et de profond désaccord. Autant je crois la thèse principale juste, puissante par sa précision, éclairante et féconde (et l'ensemble du livre l'atteste), autant je trouve la thèse secondaire (le rugby comme "représentation idéale d'un régime de type démocratique") tirée par les cheveux et inutile parce que trop large. Revenir sur l'histoire du rugby en Afrique du Sud ou dans l'Italie d'avant-guerre pour la démentir serait une "cravate" indigne de la hauteur du livre de L. Bénézech, et pour un plaquage de meilleur aloi je m'en tiendrai à une argumentation conceptuelle. 

Si la comparaison (très implicite et voilée) avec la démocratie athénienne tient un moment la route - chacun étant medium_Democratiecouronnant_le_peuple.jpgappelé a priori à porter le ballon, bien que ce ne soit pas, heureusement, par tirage au sort ! - la suite, qui retient (tout aussi implicitement) le sens classique et libéral du terme "démocratie", relève à mes yeux d'une sorte de credo, d'un zèle aujourd'hui répandu à marteler des idées bien-pensantes auxquelles il est bien sûr mal vu de ne pas croire.

Non, l'aveu des contradictions et des complexités et leur traitement dialectisé, biaisé, en répartition collective n'est pas le partage des seules démocraties libérales : n'oublions pas que le XXe siècle a connu un théoricien virtuose et un praticien redoutable de la contradiction et de la collectivité toute-puissante en la personne de Mao. La dialectique peut être mise au service de bien des régimes, ce qui ne l'empêche nullement d'être une très grande idée. Quant à la distributivité, elle n'est pas davantage d'essence démocratique : songeons que ses principaux théoriciens furent Aristote puis la hiérarchie catholique, inventeurs de l'"équité" aujourd'hui à la mode précisément parce qu'elle est opposée à l'égalité et à l'idéal démocratique classique. Enfin, remarquer que l'essor du rugby coïncide historiquement avec celui des systèmes politiques démocratiques ne contribue en rien à lui donner telle ou telle propriété qui leur serait commune.

Le maniement de concepts aussi chargés et polysémiques demanderait un peu plus de soin et de précision, et je ne suis pas sûre qu'il en résulterait un éclairage décisif et précis pour le rugby. A vouloir frapper trop fort et trop large, on passe à la fois au-dessus et à côté des poteaux...

A vouloir utiliser la philosophie comme un bulldozer, on s'expose à écraser son objet. Il vaut mieux l'utiliser comme un chien d'arrêt : lever une belle idée à partir de la configuration précise du terrain et des circonstances, et la regarder s'envoler entre les poteaux...

C'est ce qu'on peut attendre de la suite du livre. En entrant dans le détail, on revient au contact et toute la compétence de l'auteur se trouve mobilisée. Ce qui ne signifie pas la fin des agacements pour la lectrice que je suis...

A suivre...
Voir la première partie "Un purisme du concept et de l'affect"
Voir la troisième et dernière partie "L'immédiateté rustique du texte, l'urbanité décalée des photos"

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