Paru dans l’été 2020, l’ouvrage collectif Propos mêlés sur le rugby (sous la direction de Gilbert et Yannick Beaubatie et d’Anne Deplace, éd. Mille sources) est à tous égards un « poids lourd ». Il s’impose par son volume – 496 pages – et par sa qualité – quelque 80 contributions, allant du témoignage à l’étude historique1 et à l’analyse conceptuelle, de la variation poétique au « coup de gueule », rehaussées d’illustrations judicieusement choisies loin du tapage et du lissage médiatique2. Poids lourd aussi et surtout par la tonalité brûlante et nostalgique qu’il laisse au cœur des amoureux du « rugby d’avant le désastre »3 assistant, désemparés, à l’extinction de « la flamme des humbles superbes »4.
Concepts, art, littérature
-
« Propos mêlés sur le rugby », sous la dir. de Gilbert et Yannick Beaubatie et Anne Deplace
-
Entre Cyrano de Bergerac et le "livret de compétences" : la mentalité de "valeureux perdant"
Après les courtes défaites contre l'Australie et la Nouvelle-Zélande, le XV de France trébuche encore de peu (3 points) contre l'Angleterre à l'ouverture des 6 nations 2017. Cette régularité de "valeureux perdant qui méritait mieux" et dont on aligne les statistiques après chaque match (n'ont-ils pas coché toutes les cases du "livret de compétences" ?) demande quelque réflexion : ce qu'il faut réussir, c'est l'épreuve !
-
Invictus, et Ovalie de Pierre Barouh
Invictus de Clint Eastwood et Ovalie de Pierre Barouh
par Mezetulle
Je viens de rentrer du cinéma... J'ai vu devinez quoi ? Invictus, le film de Clint Eastwood : bien sûr, le moyen de manquer ça ?
Les images de rugby "plans rapprochés" et "la mêlée comme si vous y étiez" sentent un peu le carton-pâte et l'esbrouffe, avec des bruitages de coups à assommer un Lomu, m'enfin il fallait que ce soit comme ça. Allez, ne boudons pas notre plaisir, c'est très bien fait, même les bons sentiments. C'est très bien fait, et on passe un bon moment.
Et voilà qu'à mon retour, en regardant mon mél, j'ai un message de Lou.
Lou me dit que sur son blog Libellus, au sein d'un article qu'il a consacré à Pierre Barouh, il a mis la chanson Ovalie... et qu'il l'a dédiée à Mezetulle "La Choule".
En l'écoutant, en entendant ces vers :Je rêve d'un pays qui se nomme Ovalie
Sans frontière au- delà, s'il existe déjà
Plus vaste qu'un État , c'est un état d' esprit
Au-delà d'un État, c'est un état d' espritJe trouve, en quelques mots, en quelques notes de musique, ce que le film s'appliquait si laborieusement et si sentencieusement à dire en deux heures. Et bien plus encore. Merci Lou de m'avoir offert cette oeuvre d'art, et juste à ce moment-là !
Pour l'écouter sur Libellus, avec quelques autres morceaux délectables, c'est ici
Sommaire du blog
-
L'indicatif et le performatif
L'indicatif et le performatif
par Mezetulle
Après une longue léthargie passée dans la privation, La Choule, fuyant les pluies et la froidure du grand Sud (je ne plaisante pas, 10° dans l'Ariège et ciel plombé), entre dans l'ambiance parisienne estivale (26° à Paris), ferme les persiennes afin d'éviter un terrible soleil plombant et savoure la pénombre... pour se réveiller devant un programme de télé enfin regardable.
Montauban-Perpignan. C'est presque trop pour une reprise, cette overdose de drops, de retournements, de phases de jeu intenses et vacillantes, de ballons cachés qui progressent là où on ne croit pas qu'ils sont.... J'en ai le vertige, c'est très bon mais c'est fort, ça devrait se goûter à la petite cuillère et voilà que j'en reçois de pleines louches. Et comme si ça ne suffisait pas, je prends aussi une leçon de philosophie du langage.
Dans les tribunes montalbanaises, nulle inscription provocatrice ne vient rabaisser l'adversaire - mais ça c'est normal dans un stade de rugby. Il y a mieux : nulle inscription glorificatrice ne vient célébrer banalement et bêtement l'équipe au maillot vert, car le raffinement supporter atteint à Montauban un sommet logico-philosophique par une tautologie autoréférentielle qui me laisse un moment perplexe. A la fois comique et impérieuse, une banderole verte précise savamment : "Ici, c'est Sapiac !", comme si les spectateurs présents et leurs visiteurs ne le savaient pas....
Mais non, que je suis bête : la banderole ne s'adresse pas à ceux qui sont là, mais à ceux qui, comme moi, sont le nez collé à leur écran de tv, dans l'indistinction de toutes les vertes pelouses, et donc il importe de préciser que ce n'est pas n'importe quel vert. C'est celui du stade Sapiac à Montauban, lieu singulier : vous y êtes, vous pouvez le regarder, nous voir, vous y voir (1).
Plus que devant le célèbre tableau de Magritte "Ceci n'est pas une pipe", on se croirait dans un chapitre de la Poétique d'Aristote expliquant le plaisir qu'on a à identifier les personnages au théâtre : "celui-là, c'est lui !", jubilation de l'enfant découvrant l'ivresse de l'indicatif dans un geste gratuit - "ça, c'est ça".
On m'avait bien dit que le rugby est un sport parlé. Justement, voilà que j'entends l'arbitre déclarer, désignant ce qui se passe sur le terrain : "c'est un ruck !" Et le commentateur se régale à expliquer pourquoi il dit ça, et ce qui se serait passé s'il ne l'avait pas dit. La déclaration de ruck n'est pas une sanction, ce n'est pas une indication, ce n'est pas non plus une décision : c'est un acte de jeu qui se dit en se faisant et qui se fait en se disant.
Tandis que les tribunes parlent à l'indicatif, l'arbitre parle au performatif.
1 - Renseignement pris sur le web, on trouve une explication bien décevante : il existe un blog d'école primaire qui s'intitule "Ici, c'est Sapiac", et ce sont peut-être ces charmants bambins qui ont fabriqué la banderole. N'empêche que l'étrange effet-tautologie de l'indicatif en autoréférence se produit quand même !
Sommaire du blog
-
Gros comme un éléphant et subtil comme un passé antérieur
Gros comme un éléphant et subtil comme un passé antérieur
par Mezetulle
La Choule est assez bon public et revient du Stade de France avec un sentiment différent de ce qui s'écrit çà et là chez les "connaisseurs", et notamment sur les forums très select et magnifiquement grincheux par principe de Rugbyrama.
Un "non-match à oublier" une "mascarade", cette rencontre entre le Stade français et le Stade toulousain du 22 mars qui se solde par une défaite remarquable du Stade toulousain 29 à zéro ??? Nullement. Malgré une balle glissante, malgré une pelouse détrempée et une giboulée glacée qui a accueilli le coup d'envoi, on a vu de belles choses : du mouvement, du jeu, de la variété, des Parisiens remontés, acharnés à conquérir, au-delà de la victoire, le bonus offensif. Une équipe toulousaine nullement diminuée, nullement composée de seconds couteaux comme cela a été répété à l'envi et si dédaigneusement ces jours derniers, et parfaitement au point techniquement, notamment en mêlée et en touche.
Manque d'envie de la part des rouge et noir tout simplement : cela crevait même les yeux d'un gogo de Parisien qui n'y connaît rien et qui, c'est connu, se fait attraper par les cotillons guazziniens.... cela se voyait aussi gros que l'éléphant rose qui a défilé, avec les masques vénitiens sur échasses, avant le match (voir l'album). Je m'en tiens à cette explication "naïve" : après tout c'est celle que Guy Novès avance et c'est la plus vraisemblable.
Faisant un petit tour sur le magnifique site du Stade toulousain, j'y trouve le plus beau récit du match, qui surpasse de loin tout ce qui se fait ailleurs. Il faut absolument aller lire ça, un exemple parfait de narration. Les Diafoirus de la pédagogie moderne peuvent en prendre leçon, eux qui, pour cesser d'enseigner la langue belle et forte, demandent régulièrement dans leurs rapports "à quoi peut bien servir le passé antérieur" et autres subtilités dont un "gamin d'aujourd'hui" n'a nul besoin, qu'il n'entendra jamais : il serait donc urgent de cesser de les lui apprendre.
A quoi peut bien servir le passé antérieur? Mais à lire un compte rendu de match sur le site du Stade toulousain, lequel retrace comment "après que Jeanjean eut été rattrapé " (et à la voix passive s'il vous plaît !!), le ballon "sortait" et fut recueilli par Blin qui marqua un essai ! A comprendre comment, de façon assez surprenante, on peut enchaîner ici un passé antérieur (événement ponctuel) avec un imparfait (action plus longue) - ce qui est aussi une intellection du rugby, seul sport où le ballon peut mettre un certain temps à "sortir" !!! A lire, en outre, quelques romanciers, poètes, fabulistes et autres rêveurs qui croient qu'une langue ne se réduit pas à un idiome parlé par des idiots bornés aux utilités immédiates. A savoir déployer les temporalités et les causalités, à ne pas s'effaroucher devant la conjugaison anglaise pas plus ni moins subtile que celle-ci. A dire, à lire et à penser ...
Mais à quoi bon répondre, puisque la question, ramenée à sa formulation essentielle et abjecte, contient la réponse : à quoi bon embarrasser le bon peuple de telles subtilités?
Sommaire du blog