Après les courtes défaites contre l'Australie et la Nouvelle-Zélande, le XV de France trébuche encore de peu (3 points) contre l'Angleterre à l'ouverture des 6 nations 2017. Cette régularité de "valeureux perdant qui méritait mieux" et dont on aligne les statistiques après chaque match (n'ont-ils pas coché toutes les cases du "livret de compétences" ?) demande quelque réflexion : ce qu'il faut réussir, c'est l'épreuve !
"On continue à ne pas gagner". Je paraphrase ici, mais en le retournant, un mot d'esprit de Patrice Lagisquet, ironique devant le jeu terne, mais gagnant, du Biarritz Olympique à l'automne 2007...
Oui, comme le dit un article de Rugbyrama, après la très courte défaite du XV de France samedi 4 février devant l'Angleterre, "Etre de magnifiques perdants, ça suffit !". On préférerait tout de même de médiocres gagnants. Les Anglais, qui balbutiaient leur rugby en première période, on gardé leur sang-froid et monté en puissance, changeant de méthode, corrigeant leur points faibles, sachant gérer l'horloge comme un partenaire et utiliser les ressources de leur banc. Ils ont gagné et pas du tout médiocrement par-dessus le marché. Le match était beau, passionnant.
C'est cependant à grands renforts de statistiques - occupation du terrain, occasions d'essai, engagement, touches, ballons rendus, mêlées, etc. -, que certains essayent de se consoler devant un tableur Excel. Sauf que le rugby, pas plus que la vie, n'est affaire de statistiques. Le "contrôle continu", s'il peut excuser un faux-pas en compétition ou en examen, ne peut pas servir d'alibi à qui manque, régulièrement, de réussir les épreuves. Une épreuve, qu'il s'agisse d'une compétition sportive ou d'un examen, n'est pas cumulative en ce sens : c'est le moment où on remet tout en question, c'est un moment de vérité et non une accumulation de petits succès. La somme est celle du travail de préparation, et elle doit être mobilisée intégralement à l'instant "T" pour réussir.
Aligner les qualités de bon élève bien propre sur lui en cochant toutes les cases du "livret de compétences" ne suffit donc pas. Car les "compétences", à ce niveau, c'est la moindre des choses : ce sont des performances qu'on attend. Le bon élève n'est pas celui qui fait plaisir aux grilles préétablies de classification (1), c'est celui qui est véritablement armé pour affronter les épreuves.
Heureusement, cette mentalité pleurnicharde et infantile de "perdant valeureux qui méritait tellement mieux", oscillant entre la célébration du panache humble de Cyrano de Bergerac, cet éternel loser, et l'aigreur de la calculette frustrée faisant les moyennes des différents "secteurs de jeu" - comme si on était ici en situation d'apprentissage - n'est pas celle des joueurs, ni celle de Guy Novès, qui, après avoir fait sans concessions la liste des fautes individuelles, déclare :
"On perd de trois points contre les Anglais, deux contre l'Australie et cinq contre la Nouvelle-Zélande (en novembre). Finalement on n'est pas si loin que ça, même si sur des périodes du match on a été quand même dominés, il y a des secteurs sur lesquels on peut progresser. On n'a que ce que l'on mérite. Malgré tout on perd et on ne méritait pas de gagner sur la fin du match. Il faut en prendre conscience et que ça nous serve de leçon. Et se tourner vers l'avenir en se disant qu'on a les moyens de mieux faire." (Rugbyrama 6 février)
C'est au rugby que la langue courante a emprunté l'expression "il faut passer de l'essai à la transformation". Il faut savoir passer de la salle de classe à la situation d'examen.
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1 - Surtout si ces grilles sont établies par une école aveugle au réel - ce qu'une formation sportive de haut niveau ne peut pas se permettre. Aussi celles des "secteurs de jeu" restent heureusement près de la réalité et de la consistance d'une discipline, si on les compare aux "compétences" du collège 2016 !
[article publié parallèlement sur le site Mezetulle]
Commentaires
Si le rugby se résumait à Cyrano de Bergerac, mon nez ne serait ni un cap ni un détroit mais un continent ! Hélas, nous nous affublons constamment au travers des échecs de gratifications positives qui font croire que le meilleur est à venir ! Tromperie sur la marchandise et sur l'état d'esprit de 15 hommes hétérogènes qui n'ont que la culture qu'on a bien voulu leurs enseigner. Pas plus le staff que les hommes de terrain sont à blâmer tellement la médiocrité des résultats laisse penser qu'en dehors du top 14, ils sont une coquille vide du rugby dont on a peine à croire qu'elle est pleine ! Cyrano restera Cyrano, une belle anaphore de l'écriture ou la cohérence des mots rythme avec l’héroïsme consensuel propre à l'auteur ! Hélas, le rugby ne s'appelle pas Edmond Rostand, ni Alexandre Dumas et 20 ans plus tard nous serons toujours dans la dramaturge du perdant celui qui se donne tous les moyens pour ne pas gagner !