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Histoire du Rugby - Page 3

  • La Choule ou le rugby archaïque en langue d'oïl

    La Choule, ou le rugby archaïque en langue d'oïl 

    par Mezetulle

    Je sais, c'est dans toutes les histoires : "la soule" est l'un des ancêtres du rugby, c'est bien connu. 

    Sauf qu'ici on a tout de même le droit de dire autrement : "la soule" c'est une prononciation parmi d'autres, privilégiant une langue d'oc devant laquelle tout amateur de rugby croit devoir faire sa génuflexion...

    Or il existe aussi une autre prononciation, celle de langue d'oïl qui dit "la choule". Comment je le sais ? Mais tout simplement parce que je l'ai entendue de mes oreilles ! 

    J'ai en effet assisté durant mon enfance, dans un village entre Ile de France et Picardie, à de nombreux jeux traditionnels de "choule". Les rencontres avaient lieu dans ce village seulement une fois par an, chaque lundi de Pâques. Elles opposaient non pas un village à un autre, mais les "jeunes" (célibataires) et les "hommes" (hommes mariés) du même village.

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    Sur une pâture à peu près plate et boueuse par endroits étaient plantés de part et d’autre deux poteaux qui me semblaient très hauts avec à leur sommet un cercle métallique obturé par une membrane de papier marquée d'un H d'un côté et d'un J de l'autre. Les deux équipes, en bleu de travail, même si un brassard de couleur permettait aux spectateurs de les situer, n'avaient pas besoin de marques extérieures pour s'identifier : tout le monde se connaissait. 

    Le coup de sifflet initial déclenchait une sorte de course assez brutale avec plaquages, empoignades et regroupements en paquets, pour s’emparer d’une balle ("la choule") ou plutôt d’un conglomérat de cuir qui avait trempé dans l’eau toute la nuit. Cela devait être très visqueux et assez compact. Celui qui réussissait à prendre cet objet et à rester debout pendant assez de temps devait le lancer afin de déchirer le papier de l’équipe adverse. Cet acte de défloration suffisait, seul et unique, à gagner la partie. On peut présenter la chose autrement : l'équipe qui conservait seule la virginité de son poteau avait gagné et remontait la rue vers le centre du village à la tête d'un cortège et en brandissant un bâton décoré, une sorte de mât de cocagne. Bien entendu, vu la simplicité de la règle, il n'arrivait jamais que les deux poteaux soient déchirés. Mais il arrivait fort souvent que les deux poteaux restent vierges... le match était alors nul, infécond et honteux, et le cortège se traînait lamentablement pour aboutir invariablement au bistrot (ce qu'il faisait aussi du reste en cas de victoire, mais avec jubilation). 

    La participation des spectateurs consistait à acheter pour quelques centimes deux petits morceaux de ruban de couleur différente que chacun épinglait sur son vêtement, deux couleurs qui identifiaient le village et qui n'étaient pas les mêmes dans les villages voisins. On conservait ce signe pendant quelques jours, il indiquait que la choule avait été disputée et les alentours pouvaient en identifier l'origine en regardant les couleurs, lesquelles changeaient chaque année (ce n'étaient donc pas des blasons). Cela donnait lieu à une collection érudite à laquelle se livrait un de mes copains : collant soigneusement les rubans dans un album après chaque rencontre, il pouvait énumérer sans faillir les couleurs respectives de plusieurs villages sur plusieurs années.

    Bien entendu, le jeu avait ses héros, ses diables, ses dieux, ses spécialistes qui du coup tordu, qui de l'audace, qui du plaquage, qui du coup de poing, qui de la vitesse et de l'esquive, qui de la concentration et de l'habileté au lancer. Déjà, tous étaient là, il y en avait pour les brutes et pour les malins, pour le petit qui court vite et pour le lourd qui cogne fort et qui encaisse sans bouger. Cet échantillonnage de l'humanité avait quelque chose de réel et de réjouissant, loin de la tristesse et de l'uniformité des matches de foot où tout le monde a le même calibre, les mêmes défauts, les mêmes qualités - matches que je n'allais jamais voir.

    Ah j'oubliais une précision : les filles (dont j'étais) et les femmes (comme celle que je suis devenue) ne s'intéressaient pas au foot, mais elles n'auraient manqué pour rien au monde une rencontre de choule. 

    La choule a subsisté jusque dans le milieu des années soixante, elle a disparu peu avant le jeu d'arc également traditionnel dans ces régions.

    Mais franchement, ne regrettons rien : un belle rencontre de rugby, c'est tout de même autre chose !

    Voir les sites :
    La Soule Asso 
    La Choule et le Mahon (site auquel j'ai emprunté l'illustration, où on voit assez bien le poteau avec sa membrane de papier cerclée). 
    http://perso.orange.fr/saintleger1/region3/60a.choule.htm 
    Bibliographie :
    Boulanger Joseph, Le Jeu de la choule, conférence faite à la séance du 7 février 1903, Amiens : [Les Rosati picards], [1904]
    Sorel Alexandre, Le Jeu de la choule, recherches sur son origine, sa signification et la façon dont il se pratiquait, Paris : Imprimerie nationale, 1895.
    Dubuc André, La Choule normande et ses survivances, Rouen : Lainé, 1940