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Histoire du Rugby - Page 2

  • Le Midi olympique à la page et en tête

    Le Midi olympique à la page et en tête

    par Mezetulle 

    Je n'avais jamais osé me saisir d'un exemplaire du Midi Olympique : ce blog et l'entourage chaleureux qu'il me procure ont libéré toutes mes inhibitions et étendu mes capacités de lecture au-delà de la sphère pourtant déjà respectable dans laquelle j'évolue ordinairement sans complexe... mais là, c'est autre chose.

    medium_MidolTitreVert_copie.jpg

    Je me rends donc dans un bar-tabac-presse pour acheter la précieuse liasse jaune. Justement c'est vendredi et il y en a une pile sur le présentoir. Parce qu'il y a une édition le vendredi et une autre le lundi : ça je ne le sais pas encore, je vais découvrir quelques jours plus tard que cette fréquence bi-hebdomadaire est un véritable concept autant sportif qu'intellectuel déployé dans la temporalité de l'avant (non pas celle du vulgaire pronostic, on n'est pas aux courses, mais celle de la supputation, de l'hypothèse) et de l'après (celle des bilans, du jugement, de l'anthologie) : un luxe qu'on ne peut pas se payer quand on est un quotidien...

    medium_Midoltitre.jpg 

    Mais dans ce premier moment de découverte, le journal est une énigme. Volontairement vieillot, du moins au premier abord : son format - c'est fait pour les grands, ceux qui savent tourner les pages sans les froisser -, le design de son titre genre arts déco, la 1re qui atteint parfois des sommets de dissonance ringarde, medium_Midol2.2.jpget surtout surtout cet inimitable jaune pisseux du papier, presque celui de l'ancien catalogue Manufrance qui émerveilla mon enfance, avec son odeur de "vieux journal" qui craque et sèche très vite comme le pain blanc. Tout le charme province de la vieille France enracinée, Ovalie profonde, etc. etc. (j'ai déjà donné : voir mes articles sur Tillinac et les travaux champêtres). On va voir qu'il cache bien son jeu...

    L'épaisseur est à la fois intimidante et cossue : ça doit se lire à tête reposée, en absorbement, ça doit demander une vraie lecture. Je cherche, élève appliquée et pleine de bonnes résolutions, le premier article qui s'offre à mon oeil de lectrice bien entraînée, de lectrice professionnelle. Alors que le livre s'attaque en belle page, la page impaire à droite, l'oeil remontant en haut à gauche de celle-là, je sais bien sûr que le journal (surtout en grand format) peut s'attaquer en page paire ou impaire, pas forcément en haut à gauche mais dans un repérage dont l'unité est l'article : séquence titre en gras - pavé en maigre - photo facultative, ensemble offert dans une  visibilité caractéristique au sein de la page.

    J'entame donc, me croyant trop tôt en pays connu, un pavé rédigé en trois ou quatre colonnes qui s'offre à mon regard et qui m'a l'air des plus sérieux. Effectivement sérieux, plus que sérieux: un tourbillon de références érudites où se succèdent des noms propres d'aujourd'hui, de naguère et de jadis, dont je ne connais pas les trois quarts, dans une langue raffinée, sans coquille, sans faute de français ni d'orthographe, un style à la fois précis et pathétique. Toutes les ressources de la rhétorique classique sont mobilisées - exorde, exposition, arguments, questions, péroraison ; elles alternent avec celles de la dissertation - construction et formulation du problème, réduction de celui-ci à un cas classique, objections, réponses, variation-rebondissement, conclusion. Cela se déguste comme une pâtisserie, un gros mille-feuillles où la dent s'enfonce dans une épaisseur de bon aloi, juste à la bonne consistance (il faut que ça dégouline un peu, mais pas trop).

    Mais voilà que le charme de l'opacité qui reste quand même familière (car jusque-là si je comprends quelque chose à la forme, je ne comprends presque rien au contenu, mais je me dis que c'est normal : je manque de connaissances voilà tout, ça se corrige en travaillant...) se transforme en panique. Je me rends bien compte que l'article parle d'un match, et probablement d'un match qui n'a pas encore eu lieu... mais lequel, entre qui et qui ? Je scrute chaque ligne : il faudrait, pour le savoir de l'intérieur de l'article, mobiliser un background qui me dépasse. Je remonte au titre suscrit, mais là non plus rien de décisif, c'est un truc du genre "La dernière chance" ou "Le pack révélateur" ou "Lever les doutes" ou "L'heure décisive".... bien joli si l'un des protagonistes est nommé autrement que métaphoriquement ou allusivement par ex "Les pourfendeurs de XXX il y a XX semaines.."

    Jusquà ce que je me rende compte que je dois réapprendre à lire, à poser mon oeil sur une unité typographique dont la cohérence réside là où je ne savais pas la voir.

    medium_MidolPageInt.JPGL'unité de ce que j'ai sous les yeux - car oui, tout est là, sous mes yeux, rien de caché - n'est pas l'article, ni même un ensemble d'articles unifiés par un titre général avec un chapeau explicatif et fédérateur. L'unité est la page tout entière, mais vraiment tout entière, sans exception, délimitée par ses seules marges blanches (enfin je veux dire jaunes) dentelées. D'où il faut conclure que l'en-tête, morceau typographique ordinairement hors-texte de pur repérage a posteriori, est ici plus qu'un titre, plus qu'une simple classification extérieure, plus que l'étiquette d'une boîte, mais un principe d'intelligibilité, une âme dont le souffle est nécessaire à chaque composante qu'elle surplombe et dont le sang irrigue toute la page. C'est la ratio cognoscendi de tout ce qui se trouve sous elle, pas seulement disposé (comme dans la plupart des journaux) mais véritablement subsumé. C'est ce qu'il faut lire avant tout pour ordonner la page et lui donner son sens interne : "Biarritz-Agen", "Paris-Perpignan", "Castres-Mont de Marsan", etc. Sous cette ligne dominante mais ironiquement discrète, estompée en vert et grisé, les cartes typographiques se distribuent selon un admirable ordre des raisons et des espaces : tableaux comparatifs côté pliure et articles appréciatifs de l'autre...

    Vieillot et fleurant bon les terroirs? le Midi olympique c'est à la page... jusqu'au top  !

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  • Rugby, mouvement symphonique

    Rugby, mouvement symphonique

    J'ai parlé beaucoup de littérature, pas mal de danse ; alors un peu de musique maintenant.

    Arthur Honegger a composé trois mouvements symphoniques : le célèbre et très mécanique Pacific 2.3.1. en 1923 suivi en 1928 par Rugby. Quant au troisième, il ne porte pas d'autre titre que celui de son genre.

    medium_HoneggerCassan.jpg Finalement, ça conviendrait très bien au rugby cette seule qualification de "mouvement symphonique". Mouvementé, c'est ce que tout le monde peut voir. Symphonique aussi, non pas au sens d'un consensus bêlant où on n'entend qu'une seule voix et où on rase tout ce qui dépasse, mais bien au contraire au sens d'une conjugaison de timbres, de hauteurs, de rythmes, de colorations... comme celle des gabarits, des rôles et des talents sur la pelouse.

    Surtout ne pas chercher à écouter cette pièce comme de la musique descriptive, ce qui reviendrait à la tailler en pièces, à y trouver de toute façon ce qu'on cherche (ah oui les cuivres, c'est la force, le thème en canon ce sont les passes, et puis la petite pointe suraigüe là ce serait un drop ?...) en écrasant la musique sous ce qu'elle n'a jamais voulu ni su peindre... et ce qui serait une manière de ne pas l'écouter, de la livrer à un asservissement extérieur - la pire chose qui puisse arriver à une oeuvre d'art : être hors d'elle-même.

    Il faut au contraire se laisser porter, envahir par une ambiance, par une coloration, par une vigueur générale. Et si on veut absolument se protéger de la musique, se boucher les oreilles, se rassurer avec de l'extériorité, il suffira de se livrer à l'anecdote : se dire que Honegger, ce Suisse de nationalité, est né à 0 m au-dessus du niveau de la mer au Havre, berceau du rugby continental moderne avec le Havre Athletic Club (maillot ciel et marine) qui jouait au stade "Langstaff" - du nom du passeur anglais qui l'acclimata sur la côte est de La Manche.

    Sur Arthur Honegger :
    http://arthur-honegger.com/francais/biographie.htm
    http://www.musicologie.org/Biographies/h/honegger_arthur.html

    Sur l'introduction du rugby au Havre en 1872, lire l'article de Laurence Soulard sur le site de la ville du Havre

    Le portrait d'Arthur Honegger par Colbert Cassan est emprunté au site http://pagesperso.erasme.org/michel/cc/index.html

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  • Suite et fin d'une trilogie légendaire

    Suite et fin d'une trilogie légendaire

     par Mezetulle

    Je reprends mon exercice de généalogie légendaire au sujet du "Porthos de Cahors" dont il a été question dans ma note du 5 avril. Comme on l'a vu, cet Hercule paysan tenait de Jean Valjean la force de soulever une charrette transformée pour l'occasion en moissonneuse-batteuse. medium_CincinnatusLilleBA.jpg

    Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Henri Garcia, dans Les Contes du rugby (1), lui attribue encore d'autres exploits. Il maîtrise d'une seule main un étalon qu'on vient de châtrer - on retrouve sous une autre forme les boeufs non pas soulevés, mais "retournés" d'un revers de main du texte de Tillinac. Enfin, employé à l'entretien du stade de Cahors, il retourne le sol entièrement à la bêche, à la main... et, sollicité en 1961 pour une dernière tournée en Afrique du Sud, il préfère pourtant renoncer afin de poursuivre la construction de sa maison de ses mains.


    Il faut remonter un peu plus haut que Victor Hugo pour flairer ici la trace de deux sources anciennes, mais la réminiscence n'en est pas moins scolaire.

    medium_BucéphaleGrosMuséeLouvre.3.jpgLe jeune Alexandre le Grand dompta le cheval Bucéphale en le plaçant face au Soleil - une seule main lui avait certainement suffi pour cela : bien sûr c'est Plutarque et ses Vies...

    Quant au paysan-fondateur appuyé sur sa bêche (ou sur sa charrue) et qui retourne à son champ aussitôt sa tâche glorieuse accomplie sans se laisser séduire par d'autres sirènes politiques, il faut se tourner vers la fabuleuse histoiremedium_CincinnatusRomanelliLouvre.jpg romaine pour reconnaître le vertueux Cincinnatus... bien connu des générations de latinistes qui ont pâli sur le De Viris Illustribus d' Aurélius Victor.

    Guerriers politiques, paysans travailleurs et poètes conteurs ou scribes - tous adeptes d'un culte mythique de la force quelle qu'en soit la nature : la trilogie est parfaite, elle se décline dans chacun des personnages, dans chacune des légendes...

     Le rugby est nourri de ces mythes gréco-latins, qui puisent probablement leur source lointaine dans l'idéologie indo-européenne naguère étudiée par Georges Dumézil... Il n'est pas, comme certain sport manchot, une simple "culture", mais il est partie prenante d'une grande civilisation... dont il conserve la mémoire... et les mains !

    1 - Paris : La Table ronde, 1961.

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  • SF bat Brive, mais où sont les pavés ?

    Stade français bat Brive, mais où sont les pavés et le rugby des fortifs ?

      par Mezetulle

    De quoi faire enrager Tillinac et lui faire écrire encore de belles pages bougonnes comme je les aime. Paris bat Brive, on aura tout vu et  Alfredou Roques, le Porthos de Cahors issu de Tulle - mais qui préfère quand même Brive à Paris - en medium_SF-Brive070407_PhotoSF_.jpgavale un pavé surgi sous la pelouse de Jean Bouin (1).

    Soyons juste : comme chacun sait, Paris reste une grande ville corrézienne de France - même depuis que Chichi n'est plus maire !  - comme elle est aussi ville auvergnate, ariégeoise, italienne, bretonne, landaise, anglaise, maghrébine, béarnaise, américaine, africaine, chinoise, portugaise, thaïlandaise, turque, pakistanaise, indienne, espagnole, etc. Je parle bien sûr des habitants : car c'est la seule ville de France où il est à la fois rare et plutôt mal vu d'être né sur place !! Le pavé est intéressant parce que déraciné et gluant de la boue de tous les terroirs.

     Très loin des quartiers chics où les pavés et la boue font peur, faisons un tour au café Pelleport, jadis haut lieu du rugby des fortifs, comme le raconte Jean-Claude Lombard dans Dieu aime-t-il le rugby ? (éd. Belle journée en perspective, 2003)

    Il a découvert le rugby en 1941 à travers le SCUF:medium_LePelleport.jpg

    ...le vieux Sporting Club Universitaire de France qui aujourd'hui survit honorablement dans la catégorie "promotion d'honneur", comme s'il avait besoin de conquérir ce qui lui fut reconnu depuis plus de cent ans." [...] Paris était occupé, mais trois gosses du quartier Saint-Fargeau, Bernard, Léon et Jean-Claude, ne l'étaient guère, eux, quand le week-end arrivait..Nous fréquentions déjà Le Pelleport, café qui faisait face à la station de métro. On y parlait entre autres d'athlétisme puisque le fils du patron, José, courait le 100 mètres en onze secondes. [...]Je dois aujourd'hui un merci au Pelleport, suffisamment laxiste quant à l'accueil prohibé des mineurs non accompagnés, puisque c'est devant son comptoir que le grand salut SCUFiste nous arriva. Des junior, appartenant à l'équipe du SCUF, nous mirent au parfum de leurs pelouses enchantées - et, merveille! - dominicales. (p. 25-26)

    Moi aussi je suis un peu comme Tillinac, mutatis mutandis au coeur de Paris : c'est que, voyez-vous, on chercherait en vain un dieu du stade vêtu d'un maillot rose à l'Est d'une ligne La Chapelle-Alésia, et le XXe arrondissement pour eux, c'est probablement... la cambrousse... !

    Mais où sont les pavés ? Même devant "Le Pelleport" on les a ripolinés !

     (1) Voir l'excellent compte rendu d'Amélie Dutheil sur le site du SF... auquel j'emprunte la photo. En attendant les photos du match promises par Ovalove.

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  • Vous avez dit "rural, viril, sain" ?

    Un peu de poil à gratter. Vous avez dit "rural, viril, sain" ?

    Ca devient lassant, à la fin, d'alimenter un blog  à la louange du rugby, sans accroc. Finalement un peu trop lisse et bien pensant, pas tellement dans l'esprit "plaies et bosses".

    J'ai pensé qu'un peu de poil à gratter ne ferait pas de mal surtout après la défaite du 11 mars contre l'Angleterre. Mais trop facile d'aller le chercher du côté des détracteurs (si, si, ils existent). Je l'ai trouvé dans l'article d'un fin connaisseur, Philip Dine (1) : "Du collégien à l'homme (et retour) : rugby et masculinité en Grande-Bretagne et en France" (2) dont je vous livre ce passage iconoclaste.

    En tant que "sport de terroir", le rugby pouvait même servir d'antidote à l'exode rural des trente glorieuses. Dans les années 1950 et 1960, l’O.R.T.F. offrait à la nation un « rugby champagne » au pétillement international avec des attaquants vedettes comme les frères Boniface et Jean Gachassin, et permettait ainsi de présenter une image de continuité masculine définie régionalement qui masquait les changements rapides et radicaux qui se produisaient dans l’ensemble de la campagne française. C’était l’époque de l’exode rural déclenché par l’accélération de l’industrialisation, la réorganisation agricole programmée par la D.A.T.A.R. et la modernisation administrative de la France. Avec le soutien officiel du général de Gaulle et de l’ensemble de ses ministres, les rugbymen du Sud-Ouest devinrent un symbole de la continuité mâle qui pouvait être opposée à la nouvelle domination urbaine du « jeune cadre dynamique » et du « soixante-huitard ». Dans cette récupération nationale d’une passion jusque-là provinciale, Roger Couderc et Pierre Albaladéjo, les Obélix et Astérix des ondes, eurent un rôle clé, en proposant une construction ethnique de la masculinité française à opposer aux incertitudes sociales et politiques de ces temps de plus en plus troublés. Au moins sur le terrain de rugby et sur les écrans de télévision, les hommes étaient toujours des hommes; et en plus Basques, Gascons et Catalans.

    Ah ces "valeurs" rurales, régionales, viriles, spontanées, l'air pur qui vous nettoie les poumons des souillures citadines : ça vous préserve de l'émasculation, de la dégénérescence, ça vous vide l'esprit de l'urbanité efféminée et des manières-de-gonzesses-intellectuelles-parisiennes ! medium_Maillot_rose.jpg

    Là je sens comme un malaise... un léger froid dans le dos... (et encore, j'ai pris des gants, je vous ai fait grâce du passage sur le rugby pendant les années 40...).

    Heureusement qu'il y a eu ces chichiteux de Parisiens bourgeois intellos pour introduire le rugby anglais sous sa forme moderne en France. Et un siècle plus tard, voilà qu'ils ont osé un maillot rose ! Ouf, nous voilà sauvés de la grande santé terrienne et de la régénération !

    (1) Professeur de langue et civilisation françaises à Loughborough University.
    (2) Le Mouvement Social, 2002/1 (no 198), p.75-90. En ligne sur le site Cairn.

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