Avantage : filles ? Un dénuement salutaire
par Mezetulle
Dans mon dernier billet, j'évoquais la nécessité de contrarier le mouvement spontané, le consentement à se désemparer pour pouvoir construire force et adresse sur ce vide. Briser les obstacles que constitue un savoir en toc fait d'implicites : ainsi, apprendre c'est d'abord ré-apprendre en se débarrassant de ce qu'on ne sait que trop.
Mais alors, paradoxe, c'est le rugby féminin qui semble avoir l'avantage, puisque les filles en la matière ne sont pas encombrées autant que les garçons de préalables, de mythes et d'a priori. C'est vrai sans doute pour d'autres sports, mais plus particulièrement au rugby, sport de tradition "virile" qui se transmet un peu tribalement par imprégnation, contiguité, et que les filles abordent dans une sorte de dénuement salutaire.
C'est l'analyse (entre autres idées) que propose Joris Vincent dans son article "Le rugby féminin : un rugby à part entière ou un monde entièrement à part ?", publié dans un ouvrage collectif que j'ai déjà cité dans ce blog (1).
Il parle à cet égard d'une"vacuité culturelle intéressante" :
Marquées par leur statut féminin, les filles semblent moins influencées que les garçons par la culture rugbystique. En contact passif ou actif avec le milieu rugbystique, ces derniers accèdent à un niveau de connaissances plus ou moins empiriques les situant déjà comme des initiés bien avant d'avoir réellement joué au rugby. Le rapport d'une fille à la pratique est différent. Tant qu'elle n'a pas couru avec un ballon et affronté l'épreuve de la charge adverse, elle reste complètement novice sans a priori tactique ni technique. Loin de représenter un obstacle, cette vacuité culturelle devient une richesse. En effet, ce vide permet d'éviter l'étape de déconstruction culturelle du jeu nécessaire et incontournable dansla formation des joueurs. Les convictions masculines sur le jeu reposant sur des représentations ancestrales et fantasmées du jeu sont le plus souvent un facteur de résistance à la progression tactique et technique du joueur. Les joueuses ne présentent pas cette culture d'opposition sur la connaissance du jeu. Ainsi est-il plus facile d'accorder les représentations des joueuses et celle de l'entraîneur.
Comme le disait Descartes, qui pensait que les femmes pouvaient et devaient faire de la philosophie : "elles n'ont point l'esprit gâté par les études" !
Mais, ajoute J. Vincent, cette disponibilité serait aussi un obstacle... :
Par contre ce niveau de connaissances constitue un obstacle à la formation. Les joueuses ne possédant pas forcément toute la logique culturelle du rugby (formes de jeu, culture du poste), il est nécessaire de reconstruire avec elles tout un langage rugbystique qui doit être le plus imagé et le plus significatif possible.
Avantage de la vacuité, mais obstacle parce que presque tout est à construire et à expliciter... ? De quel côté est ici l'obstacle ? ... ne serait-ce pas plutôt du côté du mauvais entraîneur, qui prétend s'appuyer sur un savoir déjà-là et qui se dispense de construire ce qu'il enseigne, celui qui ne sait pas formuler, imager, schématiser, conceptualiser, inventer des expériences, et pousser à l'erreur pour pouvoir la corriger... celui qui se contente d'un "suivez-moi les gars!" ?
(1) dans Rugby : un monde à part ? Enigmes et intrigues d'une culture atypique, sous la dir. de Olivier Chovaux et Williams Nuytens, Arras : Artois presses université, 2005, p. 151-174. Voir l'article "Epouse ou mamie".
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