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temps

  • Saturne, un dieu fort inquiétant

    "Il porte un joli nom, Saturne, mais c'est un dieu fort inquiétant"
    Réflexion (encore) sur le temps

     par Mezetulle

    Avant de regarder un match de l'équipe de France, je prends mes précautions en faisant une petite heure de cardio-endurance. D'abord ça me déculpabilise : je ne suis pas une sportive en chambre, et je peux tranquillement medium_elliptique.jpgavaler un peu de malbouffe comme il sied pendant le match, le derrière vissé sur mon canapé. Mais surtout,  j'ai pris cette habitude salutaire à force de regarder les matches du Stade français, horripilants et délicieux tellement ils sont incertains et victorieux de justesse en dernière minute. Pas besoin, comme le dit Brassens, de traverser des "équinoxes funestes" pour que "le petit bout de coeur qui me reste" (ou plutôt que mes chouchous me laissent) batte la breloque: il suffit de regarder le chrono. Les dix dernières minutes surtout.

    France-Irlande samedi 9 février. Ma séance de cardio semble bien être une précaution inutile cette fois. Voilà que, souverains en habileté, servis par une double paire de chaussures orange, même qu'on aurait dit les ailes de Mercure multipliées par deux, la partie aérienne et flamboyante des dieux de l'Olympe en maillot bleu nous installe sur un nuage à la mi-temps avec une très confortable avance au score. Ouf mon coeur on peut rester calme.
    Sauf que la partie terrestre et infernale des mêmes dieux fait défaut au cours de la deuxième période : les cartouches de l'habileté ne peuvent être tirées que si le soubassement de la force et de la persévérance (version morale de la force) tient jusqu'au bout. Sans Vulcain, sans Pluton, sans Neptune et leurs ministres obscurs, Mercure, Minerve et Jupiter lui-même sont impuissants. Et c'est là que le retour des dieux de la première génération risque d'être fatal sous la conduite du terrible Chronos (Saturne en latin), le temps qui dévore ses enfants. Le chrono, transformé en machine à dévorer les pointsmedium_SaturneCourteysEcouen.3.jpg d'avance allait-il transfigurer les diables verts irlandais en titans ? Non, mon coeur, mais tout de même, cinq minutes de plus et on était mal, non ?
    Les Anglais, ce dimanche, ont eu quelques sueurs froides aussi, grignotés sur la pelouse du stade Flaminio à Rome par un Chronos qui commençait à pousser les Azzuri...

    Voilà pourquoi, lorsque (dans ma première vie) j'étais professeur, je prenais soin, en faisant passer un examen oral, d'observer rigoureusement le temps limité de l'épreuve: vous n'imaginez pas le nombre de bêtises qu'on peut faire dire à un élève, surtout s'il est brillant, rien qu'en medium_chronosGoya.jpgpoussant un peu le chrono...

    Imaginons maintenant un match qui durerait tout le temps, sur un terrain sans limites, un jeu qui ne s'arrêterait pas, une pièce de théâtre dont on ne verrait pas la fin, comme ce terrible et bien nommé Outrage au public de Peter Handke. Outrage absolu : à l'habileté, à la force elle-même, et à la liberté.

    Et comme le dit encore le poète "Il porte un joli nom, Saturne, mais c'est un dieu fort inquiétant".

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  • Une petite fille dans un monde de brutes?

    Une petite fille dans un monde de brutes ? Auch-Toulouse, 25 janvier (3-34)

    Sous la lumière crue des projecteurs, une petite fille hors d'haleine traverse dans sa longueur un terrain où s'affrontent des grands garçons autour d'un ballon.... Apeurée ? Esseulée et abandonnée par des parents indignes sur une pelouse de brutes où elle n'a que faire - et en nocturne en plus? Mais non, vous n'y êtes pas : on est à Auch, sur un terrain de rugby, ne vous faites pas de mauvais sang.

    medium_SupportersViolents.jpg C'est la fin du match, les supporters (de Toulouse ? d'Auch ? ah voilà bien encore une question de f.. ooteux...) envahissent le terrain. De plus le match n'est pas vraiment fini, l'aire sacrée hors temps et hors espace vient d'être violée par des enthousiastes peu regardants sur les règles. Ce devrait être le moment de tous les dangers, d'autant plus que l'équipe qui reçoit subit une large défaite. medium_Sablier.2.jpg

    Sauf que c'est du rugby, et que c'est comme au théâtre, comme au concert, comme à l'opéra : il y a un temps formel et un temps objectif et parfois ça s'emmêle un peu les pinceaux en un moment qui, redoutable en principe, est ici délicieux. Le temps formel, celui des chronos, est épuisé : la sirène a annoncé la fin des 80 minutes. Toulouse a largement gagné de toute façon. Mais le temps objectif, celui de l'action, est en cours : l'arbitre n'a plus d'yeux que pour devenir spectateur, pour subir à son tour la loi du jeu, de ce qui se passe vraiment. Car l'action en marche, comme toujours, est grosse d'un essai, elle n'est pas finie et elle est désormais seule maîtresse du temps (1).

    Et voilà-t-il pas justement que l'essai d'après-dernière minute est marqué par les visiteurs. La messe est archi-dite, non ? Comme les auditeurs enthousiastes d'un concert qui n'attendent pas le silence après la dernière note pour applaudir, une partie du public envahit le terrain. Notons bien que c'est pour applaudir les visiteurs victorieux et les vaincus qui se sont si bien défendus, et les petites filles ne sont pas les dernières dans cet exercice chaleureux. Mais attendez, tout de même, il y a la transformation ; même ultra-facile, elle pourrait être manquée.

    Le moyen de virer les supporters indiscrets d'un terrain de jeu de balle collectif ? Appeler la police ? Mais non, vous n'y êtes pas, on est à Auch, sur un terrain de rugby, et il y a des petites filles qui sautillent sur la pelouse, c'est normal. Il n'y a qu'à leur dire : attendez, ce n'est pas fini, il y a la transfo, poussez-vous un peu. Quelques index pointés avec le sourire suffiront, tout le monde comprend au quart de tour et pivote à toute vitesse pour rentrer en courant dans le monde profane, au-delà de l'enceinte sacrée encore quelques secondes.

    Le temps de cette course ajoute une troisième temporalité à celles que j'ai déjà repérées ; à quoi se mesure ce troisième temps de l'emmêlage des pinceaux, hors temps, mi-profane mi-sacré ? A la vitesse des jambes d'une petite fille de six ans, folle de joie, traversant un terrain de rugby dans sa longueur pour ne pas transgresser la règle plus longtemps... et pour voir une transfo en suspens.

    Merci au cameraman de Canal+ d'avoir montré ce moment à la fois dérisoire, drôle et édifiant : après cela, qu'on ne vienne plus me dire que le rugby est un sport de brutes.
    Au fait, l'essai d'après-dernière minute fut transformé. Maintenant je sais pourquoi on attend toujours un peu avant de frapper au but, dans un moment d'après-dernière minute où tout est pourtant déjà joué : pour que les petites filles de six ans terminent leur course.

    1 - Sur la temporalité du rubgy, lire aussi sur ce blog :  Bourgoin essouffle le temps et France-Ecosse, hymne à Saturne.

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  • Bourgoin essouffle le temps

    Bourgoin essouffle le temps au bout du bout

    "Un cri d'alarme" : à l'issue de la 3e journée du Top 14 l'article d'André Boniface dans le Midi Olympique de ce vendredi (30 novembre) appelle de ses voeux un rugby offensif. Il constate le peu d'essais marqués "seize essais en sept matches, dont sept à Paris - il n'en reste que 9 pour 6 rencontres". Le score tourne trop autour des points de pénalité, sanctionnant un jeu fautif mais surtout un jeu attentiste, calculateur, verrouillé et bétonné, et au fond pas très beau. Et de citer en contre exemple le superbe match Stade-français Bayonne du 23 novembre où "l'esthétique était complémentaire de l'efficacité".

    Ce que j'ai vu de la 4e journée lui donne à la fois raison et tort : on a vu les deux.
    On a vu le rugby planplan de décompte et de realpolitik, le Stade français ayant évité de perdre vendredi 30 contre Dax en pratiquant, il est vrai sous une pluie savonneuse et avec une équipe de mise à l'épreuve (Fabien tu prends des risques, mais c'était bien calculé...), un rugby de pénalités marquées, de défense in extremis, une realpolitik qui s'accommode avec une mêlée défaillante et une touche approximative, les yeux rivés sur le tableau de score.

    Mais quel beau moment en revanche, "esthétique et efficace", que cette haletante rencontre entre Clermont et Bourgoin hier soir ! On a cru jusqu'au bout que le match pouvait basculer dans l'un ou l'autre sens. Jusqu'à l'essoufflement qui met les joueurs à genoux en transperçant leur diaphragme, en suivant la buée dégagée par leurs regroupements ahanants, en balayant du regard les attaques transverses qui se renversaient d'un côté à l'autre du terrain, sans cesse, sans répit, sans peur et... sans reproche (très peu de pénalités). On sort de là le souffle coupé - je parle de moi, "couch potatoe" devant la télé. On était à la fois dans le réel de ce qui se passait là devant nos yeux et dans une page littéraire d'un roman de Tillinac décrivant les déplacements de la mêlée comme ceux d'un animal brûlant et multiforme.medium_Sablier.jpg

    Jusqu'au bout ? Mais qu'est-ce que le bout d'un match comme celui-ci ? C'est le bout du bout, au-delà de la 80e minute, traversant la sirène. C'est le moment où le temps du jeu s'impose comme le seul temps réel, celui qui ressemble à une temporalité de théâtre conduite non par l'horloge et sa vide scansion, mais par l'action... qui prend les choses en main et qui finit non pas parce que "c'est fini", mais de l'intérieur,  faute d'aliment, faute de combattants : par exhalaison pure. Une fin digne de ce nom, allusion magnifique à la vraie fin, celle dont on meurt "de sa belle mort".

    Mû au dernier moment par la possibilité de marquer encore un essai qui (s'il était transformé - mais ça, il vaut mieux ne pas y penser maintenant) pourrait lui donner la victoire en renversant le match une troisième fois, Bourgoin se lance dans cette dramaturgie éperdue qui n'en finit pas d'attaquer, de passer, de piquer et d'aller, d'aller, d'aller encore. Et on voit sur l'écran tv défiler les minutes : 79, 80, 81...

    medium_Aeolus1.jpgL'arbitre et les spectateurs attendent la rupture d'action, comme on attend à l'opéra que le souffle du chanteur mette de l'intérieur le point final à la dernière note par exhalaison, et voilà que le temps est distendu : il n'en finit pas de chanter, de pousser sa note, et Clermont défend, défend, patiemment mais quand même un peu étonné, comme l'orchestre continue à accompagner ce souffle de diable qui s'alimente on ne sait où. Ca finira bien par finir, oui, et l'orchestre peut poser ses instruments, ouf, sa lecture de la partition était la bonne (il n'y a pas de reprise), Clermont a gagné. Mais quand même : plus de deux minutes de point d'orgue, c'était presque un da capo, une forme de résurrection.

    P.S. Pour une analyse de la "realpolitik", voir Rugbymane, article Rugby défaite.

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  • Italie-Galles : la pénaltouche et l'échéance

    Italie-Galles : la pénaltouche et l'échéance mortelle

    "Il y a pénaltouche lorsque l'équipe pour qui a été sifflée la pénalité décide de taper en touche au lieu de la tenter. Dans ce cas, c'est cette même équipe qui effectuera la remise en jeu." (1)


    Cet après-midi, superbe exemple et bel objet de controverse à la fin du match Italie-Galles remporté par l'Italie 23 à 20.
    A la 80e minute, en face des buts italiens, les Gallois bénéficient d'une pénalité. Mais gardons à l'esprit qu'on est à la 80e minute, et que la fin du match est imminente.medium_chrono.jpg
    Vont-ils la tenter ? Si oui, ça ne fait jamais qu'une égalisation : pas terrible....  Alors - calcul - ils choisissent de jouer la touche : si celle-ci se déroule comme ils l'espèrent, ils ont une chance d'aller à l'essai et donc de remporter le match par 25-23 et même peut-être par 27-23 si l'essai est transformé.

    La touche est trouvée à quelques mètres de la ligne de but italienne. Et c'est à ce moment-là que l'arbitre siffle la fin du match. Certains commentateurs n'hésitent pas à parler d'une "faute d'arbitrage".

    Toujours est-il que voilà un beau sujet pour les philosophes : la question du temps, de la séquence et de l'échéance.

    Est-ce la même chose d'une part de "laisser jouer" la séquence "tir de pénalité" (ou dans d'autres circonstances la séquence "essai marqué-tentative de transformation") alors qu'on est sur la limite de temps, et d'autre part de "laisser jouer" une touche ?  Il me semble que la question qui décide est : "jusqu'à quand ?"

    Dans le premier cas c'est très clair et définissable a priori : jusqu'à ce que la balle quitte le pied du buteur et termine sa trajectoire. La séquence est une séquence finie, de même que la séquence "essai-transfo". Mais dans le second ?  La touche et ce qui la suit ne sont pas une séquence finie... et l'arbitre aurait aussi bien pu siffler la fin du match lors de la prise de balle, ou un dixième de seconde après celle-ci lorsque le joueur retombe au sol, ou même un un dixième de seconde avant un essai toujours potentiel... ? 

    L'imminence de l'échéance, c'est toujours pathétique. Y compris pour les échéances qu'on joue, pour les petites échéances, parce qu'elles sont une allusion à la fois dérisoire et sublime à la grande échéance, à la seule qui compte et qui donne leur sel à toutes les autres sans lesquelles on ne ferait jamais rien, on ne tenterait jamais rien.

    (1) Mathieu Lasselin : Le rugby en quelques mots français-anglais Maitrise LEA - 2002 / 2003 - Université Sorbonne nouvelle - Paris III Responsable : Loïc Depecker 

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