Des buts ou des points ? finesse du score
Après quelques égarements hystéro-bougons, je reviens à une sérénité théorique.
Oui, contrairement à l'apparence spontanée, brutale, immédiate, le rugby est un sport qui connaît les nuances, que dis-je : il est fondé sur la nuance, sur des déclinaisons de gammes continues, et non sur des hiatus discontinus. Bref, tout en finesse.
Et pour commencer, un peu d'arithmétique, puisque toute rencontre sportive se traduit rationnellement par un décompte : ici le score.
De quoi est fait un score au rugby ? De points, et non de buts. La distinction importe. Ce score composé de points n'est pas "gros". L'unité élémentaire qui le constitue (le point) a valeur alphabétique ou atomique : elle ne correspond en effet à aucun acte isolable sur le terrain, c'est un abstrait. On ne marque pas "un" point en faisant ceci ou cela, aucune action ne correspond à un point - on ne peut marquer un point que par une différence. On ne marque que des ensembles de points, un peu comme on écrit les mots avec des lettres de l'alphabet, lesquelles n'ont aucun sens de manière isolée. Les linguistes diraient qu'elles n'ont pas de pertinence en elles-mêmes (sauf cas rares, par ex "i" en latin impératif du verbe "eo").
J'ose à peine rappeler le b-a ba : 5 pour un essai, 2 pour une transfo, 3 pour une pénalité, 3 pour un drop... C'est bien ça non ? (pour vérifier, voir sur le site le carnet de l'entraîneur).
En revanche, la pertinence de l'unité se trouve dans le décompte, en tant que différence avec un autre décompte : on peut être devancé d'un point. Et ça fait une différence !
Autrement dit : le score du rugby s'exprime en une langue évoluée, articulée en micro-éléments abstraits qui ne prennent leur valeur que dans la série et les différences entre séries. Et non une langue grossière, où chaque point correspond réellement à un acte de jeu isolable (le "but", vous voyez de quoi je parle ?) : dans ce dernier cas, on n'est même pas du niveau d'un syllabaire, on est dans un système de signaux, une pictographie où chaque signe correspond à une chose. Quelle pauvreté !
L'une des conséquences de cette finesse du score articulé rejoint une idée que j'ai abordée dans un autre billet : le score est rarement fatal. Ce qui est mortel, humiliant, n'est pas d'encaisser un but où tout se joue, mais une série de points, ce qui suppose la continuité entre plusieurs phases de jeu. Et si l'arbitrage n'est pas complètement aberrant ou partisan, la différence au score reste rationnelle, proportionnelle aux forces et aux habiletés en présence durant la rencontre.
Une autre conséquence est la notion de choix tactique : tenter une pénalité plutôt que la jouer à la main ou choisir la pénaltouche, c'est essayer de maîtriser dans un calcul l'état du score, le moment du match, le temps qu'il reste, les éléments naturels (distance, vent)... rendre la contingence maniable.
Commentaires
Alors il faudrait abandonner le goal average au profit du point average?
Transmettons l adresse de ton blog aux commentateurs de tous horizons histoire qu ils s adaptent a cette belle philosophie qui est la tienne.
Ton blog est vraiment intelligent et interessant.
a+