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Bourgoin essouffle le temps

Bourgoin essouffle le temps au bout du bout

"Un cri d'alarme" : à l'issue de la 3e journée du Top 14 l'article d'André Boniface dans le Midi Olympique de ce vendredi (30 novembre) appelle de ses voeux un rugby offensif. Il constate le peu d'essais marqués "seize essais en sept matches, dont sept à Paris - il n'en reste que 9 pour 6 rencontres". Le score tourne trop autour des points de pénalité, sanctionnant un jeu fautif mais surtout un jeu attentiste, calculateur, verrouillé et bétonné, et au fond pas très beau. Et de citer en contre exemple le superbe match Stade-français Bayonne du 23 novembre où "l'esthétique était complémentaire de l'efficacité".

Ce que j'ai vu de la 4e journée lui donne à la fois raison et tort : on a vu les deux.
On a vu le rugby planplan de décompte et de realpolitik, le Stade français ayant évité de perdre vendredi 30 contre Dax en pratiquant, il est vrai sous une pluie savonneuse et avec une équipe de mise à l'épreuve (Fabien tu prends des risques, mais c'était bien calculé...), un rugby de pénalités marquées, de défense in extremis, une realpolitik qui s'accommode avec une mêlée défaillante et une touche approximative, les yeux rivés sur le tableau de score.

Mais quel beau moment en revanche, "esthétique et efficace", que cette haletante rencontre entre Clermont et Bourgoin hier soir ! On a cru jusqu'au bout que le match pouvait basculer dans l'un ou l'autre sens. Jusqu'à l'essoufflement qui met les joueurs à genoux en transperçant leur diaphragme, en suivant la buée dégagée par leurs regroupements ahanants, en balayant du regard les attaques transverses qui se renversaient d'un côté à l'autre du terrain, sans cesse, sans répit, sans peur et... sans reproche (très peu de pénalités). On sort de là le souffle coupé - je parle de moi, "couch potatoe" devant la télé. On était à la fois dans le réel de ce qui se passait là devant nos yeux et dans une page littéraire d'un roman de Tillinac décrivant les déplacements de la mêlée comme ceux d'un animal brûlant et multiforme.medium_Sablier.jpg

Jusqu'au bout ? Mais qu'est-ce que le bout d'un match comme celui-ci ? C'est le bout du bout, au-delà de la 80e minute, traversant la sirène. C'est le moment où le temps du jeu s'impose comme le seul temps réel, celui qui ressemble à une temporalité de théâtre conduite non par l'horloge et sa vide scansion, mais par l'action... qui prend les choses en main et qui finit non pas parce que "c'est fini", mais de l'intérieur,  faute d'aliment, faute de combattants : par exhalaison pure. Une fin digne de ce nom, allusion magnifique à la vraie fin, celle dont on meurt "de sa belle mort".

Mû au dernier moment par la possibilité de marquer encore un essai qui (s'il était transformé - mais ça, il vaut mieux ne pas y penser maintenant) pourrait lui donner la victoire en renversant le match une troisième fois, Bourgoin se lance dans cette dramaturgie éperdue qui n'en finit pas d'attaquer, de passer, de piquer et d'aller, d'aller, d'aller encore. Et on voit sur l'écran tv défiler les minutes : 79, 80, 81...

medium_Aeolus1.jpgL'arbitre et les spectateurs attendent la rupture d'action, comme on attend à l'opéra que le souffle du chanteur mette de l'intérieur le point final à la dernière note par exhalaison, et voilà que le temps est distendu : il n'en finit pas de chanter, de pousser sa note, et Clermont défend, défend, patiemment mais quand même un peu étonné, comme l'orchestre continue à accompagner ce souffle de diable qui s'alimente on ne sait où. Ca finira bien par finir, oui, et l'orchestre peut poser ses instruments, ouf, sa lecture de la partition était la bonne (il n'y a pas de reprise), Clermont a gagné. Mais quand même : plus de deux minutes de point d'orgue, c'était presque un da capo, une forme de résurrection.

P.S. Pour une analyse de la "realpolitik", voir Rugbymane, article Rugby défaite.

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Commentaires

  • Ce qu'il y a de bien avec toi, c'est qu'on se répond sans se parler...sans même se lire avant mais bon tu dois être plus exhalaisonée que moi en ce moment... je la joue plus Rugby perlé...une note par quinzaine et encore sous commande de mon frérot... Adesias La Choule, ta note Lilloise me chauffe encore les zigomatiques

  • magnifique analyse qui va au bout du bout du fond des choses. Il est vrai que Bourgouin a presque repris à son compte la splendide formule De GUY Novès " prendre un risque, pour moi, c'est ne pas jouer". Mais la saison est longue et soyons surs que dans quelques mois, les "gros" ne pourront plus se satisfaire de gagner petit. suerte.

  • Dans la défaite, tout à la fin...Il manque toujours une seconde ou peut-être une note pour que la partition finisse bien...
    Enfin, pour un demi orchestre au moins!

  • Demi-orchestre, et partition incomplète pour l'une des moitiés, oui bien sûr si on considère que l'orchestre est ici composé des trente joueurs et que deux demi-orchestres se font face, rivalisent. Mais j'avais l'idée que l'attaquant, l'équipe qui fait vivre la balle, dans ce cas particulier de l'au-delà du temps chrono, est un peu comme un soliste. Le défenseur lui résiste mais il l'accompagne et s'efface en second rôle, il lui donne la réplique : cette temporalité très particlière fait qu'ils sont à la fois opposés et complices, "accordés" au même diapason. Je ne sais pas si cette idée tient la route, je n'arrive pas bien à la formuler.

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