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essai

  • Pas de deux en rose et noir

    Un pas de deux en rose et noir
    Commentaire de la photo de R. Perrocheau

     par Mezetulle

    Ceux qui ont vu l'article que j'ai eu la chance de publier dans Libération le 8 novembre auront remarqué cette magnifique photo en grand format qui le surplombait. Elle a été prise par Romain Perrocheau (agence Icon sport) qui a eu la gentillesse de me l'envoyer et de m'autoriser à la publier sur La Choule (1). Je le remercie infiniment. Vous pouvez la voir aussi dans l'album que je lui consacre : elle vaut bien un album à elle toute seule !

    medium_PhotoRPerrocheau.JPG

    Cette photo est admirable, par son sujet, par sa temporalité, par le mouvement qu'elle arrête et révèle, par ses couleurs, par tout ce qu'elle concentre du rugby. Elle fait le tour de ce que Roland Barthes, dans La Chambre claire, appelle le studium et le punctum. C'est un chef d'oeuvre par lequel mon article n'a pas été illustré (quel vilain mot!), par lequel il a été honoré, défié, exalté, couronné.

    D'abord, son sujet. L'essai de Vincent Clerc à la 7e minute du match Stade toulousain - Stade français Paris à Toulouse le 3 novembre. Essai fulgurant où il aplatit la balle dans l'extrême coin de l'en-but, pendant une petite fraction de seconde. La photo pose la question du temps (que la vidéo vulgairement résout) : va-t-il aplatir avant ? Avant que la balle ne sorte, avant que Jeanjean ne le pousse en touche... Le punctum est dans ce suspens, et la photo serait moins belle si elle montrait l'instant d'après. En écartant l'instant définitif, elle montre le véritable instant, l'instant décisif où les choses sont suspendues, où le seul contact avec le sol est un demi-centimètre de la pointe du pied droit de Clerc - alors que Jeanjean, lui, est carrément en plein vol. Tous deux en atterrissage, mais encore dans l'élément aérien.

    Cet essai en suspens aimante toute la photo et construit le studium en la polarisant tout entière sur le ballon. Les lignes de tous les regards convergent et unissent les deux joueurs, l'arbitre, les spectateurs tétanisés, tous inclinant leurs corps vers cet ultime point qui s'échappe en partie par l'angle inférieur droit de l'image. Hasard ou suprême art du cadrage ? Mais même si c'est un hasard, c'est un art d'avoir retenu cette photo, d'avoir su voir que cette apparente imperfection était une perfection. Imaginons un instant qu'on voie le ballon tout entier... la photo retomberait alors dans l'ordinaire informatif.

    Chacun effectue cette inclinaison du corps à sa manière, selon son rôle et selon sa complexion. Les joueurs la produisent, élégamment, puissamment, totalement. L'arbitre la poursuit, s'essoufflant vers la vision d'une décision qu'il ne pourra pas prendre. Les spectateurs la miment, par une torsion que le rugby engendre même sur le plus avachi des fauteuils. Ici, dressés comme des ressorts projetés hors des "bacs à cul" inconfortables que sont les sièges des stades, on ne distingue même plus les supporters de telle ou telle équipe : Clerc en tire les ficelles au bout de ses doigts. L'ambiance revancharde et lourde qui régnait ce soir-là à Toulouse, perceptible même à la tv, se dissipe, se sublime, unissant les voeux contraires dans un élan rédempteur qui abolit les injures, les bras d'honneur, les sifflets... tout le monde est projeté dans l'éther, au-dessus des "miasmes morbides", dans l'élévation de ce qu'il faut aussi appeler un pas de deux en rose et noir.

    1 - Il va sans dire que cette image n'est pas libre de droits... mais ça va mieux en le disant !

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  • Le rugby, objet de pensée. Edito de lancement

    Création du blog 25 février 07, par Mezetulle

    Le rugby, objet de pensée. Editorial de lancement.

    Ici c'est un blog "intello". Résolument, fièrement. Parce que le rugby, comme toute chose, peut faire l'objet de la pensée, mais aussi et surtout parce que le rugby lui-même relève de la pensée : il n'est pas réductible à du calcul. Et parce qu'il engage le corps tout entier, il engage une pensée totale et il est analogue à la pensée.

    Une preuve, un exemple parmi d'autres ? L'essai, manière unique de marquer des points dans tous les sports de balle : il faut y aller soi-même et non se contenter d'envoyer un projectile dans une cage, devant ou derrière une ligne ou dans un panier.medium_Clipart1.5.jpg

     Comme la pensée, la vraie (à la différence du calcul qu'on peut faire faire) l'essai fait partie des choses qu'il faut faire soi-même, et au plus près. La force, la vitesse, l'habileté, la technique sont nécessaires, mais elles ne sont pas suffisantes : il y faut encore la présence tout entière, quelque chose qui ressemble à la présence d'esprit.

    Un autre exemple ? L'engagement du corps est à la fois entier et paradoxal : les pieds courent vers l'avant quand les mains doivent passer vers l'arrière. La balle possédée par le joueur doit aussitôt être lâchée dès qu'il est à terre. Le mouvement naturel est contrarié, et pourtant il doit être tout en force et comme s'il était naturel. C'est comme ça qu'on arrive à penser : en tirant sa force de la contrariété, en allant à contre courant.

    On proposera bien sûr des billets d'humeur et autres "coups de coeur" et "coups de gueule". C'est bien la moindre des choses. Mais on s'efforcera de faire surtout quelques notes philosophiques pour faire honneur à la fois au rugby et à la pensée.

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