Guêpes, tigres et semis de fleurs qui flottent sans sombrer (ou le maillot rayé)
par Mezetulle
Partagée entre deux beaux succès à célébrer en ce moment (1), je laisse à Greg le plaisir entier de saluer le magnifique parcours de Clermont, à présent en 3e position du Top 14, et je commencerai par "le jour de gloire de Raphaël Ibanez" avec les Wasps, remportant la Coupe d'Europe sur le favori Leicester, ce qui lui vaut un trois quarts de page du Midi Olympique, noir sur jaune, sans parler de la page-titre.
Guêpes (wasps) contre tigres : c'est finalement la piqûre qui l'a emporté, sur un terrain où tous ces drôles de zèbres continuent à s'inscrire dans l'histoire longue et sulfureuse de la rayure, via un bestiaire qui a gardé tout son venin. Brillamment, certes mais peut-être un peu trop discrètement : car ces très piquantes guêpes n'affichent la couleur que rarement et la plupart du temps sur leur chaussettes, le reste de la tenue demeurant dans le sobre et très classique noir uni.
Il est vrai que la rayure, pourtant traditionnellement et abondamment portée jadis sur les terrains de rugby, n'a pas très bonne presse et qu'elle tend de plus en plus à disparaître du design branché qui submerge les stades. Fondamentalement ambivalente car elle n'est pas une forme tracée sur un fond mais une structure, brouillant l'ordre chromatique, priorité indiscrète qui tape fort à l'oeil, marque infamante qui frappe ceux qui sont hors de l'ordre (criminels, valets, satimbanques) mais aussi barrière qui fait obstacle à l'impureté ou à la transgression (toiles de plage et de boucherie, costumes de bains d'autrefois, passages pour piétons et chantiers d'aujourd'hui), comble de la vulgarité (chemises des frères Dalton et autres costards maffieux à grosses rayures contrastées) ou du raffinement (fines rayures ton sur ton rendues célèbres par l'habit de l'Incorruptible), cette étrange partition du visible barre de moins en moins de sa fulgurance inquiétante les terrains de sport.
Dans son livre passionnant L'étoffe du diable : une histoire des rayures et des tissus rayés (Paris : Seuil, 1991), Michel Pastoureau retrace l'histoire de cette ambivalence dont je viens de rappeler quelques éléments. S'agissant du maillot sportif, il renvoie à la thèse du sport-spectacle : à ses yeux, le sportif, "grand utilisateur de rayures" est
"un drôle de zèbre qui se situe sur les marges de la société où il retrouve le clown, le saltimbanque, l'homme de théâtre et tous ceux qui se donnent en spectacle. Le port de tenues rayées sur les terrains de sport peut donc être pris sinon comme une marque d'exclusion, du moins comme un écart et un déguisement. Par bien des aspects, le sportif est l'histrion des temps modernes" (p. 127-128).
Il poursuit le chapitre intitulé "la rayure sportive" en évoquant aussi la connotation évidemment héraldique de la rayure pour certains clubs, et soulève la question de sa désaffection notamment sur les maillots des arbitres de foot et de rugby où elle était pourtant naguère de rigueur.
Or, comme je l'ai fait remarquer, cette désaffection s'étend bien au-delà puisque même quand on s'appelle les Wasps, on n'ose "l'étoffe du diable" qu'en subalterne rappel de chaussette. Et même quand on peut s'enorgueillir d'un blason mythique dont on raconte qu'il fut donné par Charles le Chauve à la Catalogne, on en estompe la structure pour n'en garder que les couleurs : le maillot de Perpignan, comme bien d'autres, délaisse sa présentation héraldique pour en décliner les teintes selon le design d'une marque sponsor. Les sponsors et équipementiers, tels sont les nouveaux hérauts qui frappent de leurs symboles (pumas, virgules et - ah tout de même - 3 célèbres "stripes" qu'Adidas s'évertue du reste à déstructurer au plus loin de la rayure) la livrée du rugbyman. Devant la toute-puissance de la marque et de son équipe de designers, la rayure, trop voyante, trop rigide, trop impérieuse, trop jalouse du regard dont elle s'empare, est priée de mettre une sourdine et le sportif de rentrer dans le rang commercial pour passer dans un vestiaire plus chic et surtout plus juteux.
Et là vous me voyez venir, je vais terminer par un éloge (ambivalent et angoissé) de mon chouchou le Stade français : c'est vraiment génial d'avoir trouvé l'absolu contraire de la rayure, l'absolu contraire de la frappe héraldique en bandes, barres, faisceaux et autres partitions viriles.... pour taper dans l'oeil avec un uni rose féminin qui se vend très très bien (voyez sur ce blog la tronche de La Choule), discrètement zébré (mais pas rayé) de trois éclairs bleus. Il ne manquait plus que la fleur de lys en semis marial : eh bien ils ont osé! (c'est pour ça sans doute qu'ils méritent de jouer à Saint-Denis, au pied du sépulcre royal?).
Mais heureusement ils n'ont pas oublié, en rappel et en alternance, le bleu et rouge du Fluctuat nec mergitur : c'est tout ce que je leur souhaite, de flotter, au bord du naufrage, et de surnager en haut du Top 14 (mais ça va être dur, surtout devant la marée basque de mon autre chouchou Serge !).
Sommaire du blog
1 - Euh, enfin trois car La Choule est promue "coup de coeur" des blogs Paramourdurugby ce matin, mais effleurons seulement le sujet en modeste note de bas de page : j'ai déjà la grosse tête ; je suis au bord de l'explosion rien qu'à lire l'article Rugbyphilo de Lio, et le coma éthylique me guette au parfum des fleurs qui remplissent les coms de La Choule en ce moment...
Commentaires
Félicitations, non seulement tu est nommée coup de coeur, mais en plus tu détrône Jérôme, qui selon moi, était coup de coeur depuis le lancement de son blog. Il y a longtemps que tu mérite cette nomination, peut être qu'il suffisait d'ajouter ta photo pour y parvenir!
A+
Alain
Merci pour ces appréciations élogieuses. Je pense que Jérôme a mis son talent de rugbyman et de fin analyste du rugby en "locomotive" de cette plate-forme pendant de longs mois, contribuant largement à en faire la qualité et la tenue et lui donnant du prestige ; on récolte les fruits qu'il a semés. Et il faut mettre les choses à leur place : je ne pourrais pas produire des analyses comme il est capable de le faire de façon permanente, prolongée. Ma palette finira forcément par s'épuiser (bien joli si je peux tenir jusqu'à la Coupe du monde). Donc le terme "détrôner" n'est peut-être pas celui qui convient !
Bien le bonjour à vous. d'abord félicitations. et puis merci de m'avoir intégré à la famille ( tant qu'à filer la métaphore rugbystique) de vos blogs amis. Ayant depuis reçu une assitance très technique, je vous ai également signalé en tant que tel. Parmi mes blogs et sites amis, s'en tend. En ce moment je relis "ironies ovales" de Blondin ( une très vieille édition, je ne sais si cela a été réedité...) que je voulais vous recommander. Chaudement. allez salut. bien à vous.
Je Te promets du mystique tapé du doigt gauche... Très bel article nonobstant l'oubli des célèbres rayures des 2 équipes dans Asterix chez les Bretons... Allez vivement la 2e mitemps
Bonjour,
Je suis heureux de découvrir votre blog et je comprends mieux l'allusion aux rayures que vous avez laissé sur mon site... !
Avez-vous remarqué ce petit "Yalta made in England" datant de la deuxieme moitié du XIXeme siécle qui alloue les rayures horizontales au "football-rugby" et les rayures verticales au "football-manchots" ? il me plairait beaucoup de tomber sur un texte montrant qu'il s'agit d'un choix plus que d'une coutume..
Si vous aimez les rayures, je vous en propose quelques autres...
http://www.flickr.com/photos/rugby_pioneers/473413891/
http://www.flickr.com/photos/rugby_pioneers/414501582/
(les photos sur cet espace Flickr m'appartiennent et sont libres de droits pour une utilsation non commerciale... servez-vous...)
NB1 : la gravure que vous avez reprise (http://www.flickr.com/photos/rugby_pioneers/107824735/) est en réalité l'illustration d'un jeu de société du début du XXeme, d'où le titre "Football de salon". La gravure est dans mon salon... la boite de jeu est au musée du rugby à Twickenham... (http://www.flickr.com/photos/rugby_pioneers/245848085/)
NB2 : je regarde (de loin...) la préparation d'une conférence sur l'histoire du rugby organisée par Sciences Po (MM. Dietschy et Clastres) durant la coupe du monde... il est prévu que M.Pastoureau vienne y parler des maillots...
PS : je reviens un instant sur la gravure "Le football de salon" qui illustre votre billet. Pourriez-vous me dire où vous l'avez trouvé ? (je cherche une piste pour en savoir plus sur ce dessin....)
> Frédéric. Je n'arrive plus pour le moment à retrouver l'origine de la gravure. Je sais que je l'ai trouvée dans une banque d'images sur Internet, mais laquelle ? Je vous contacte si je retrouve...
Bonsoir,
Grand amateur de rugby et d'héraldique, je ne pouvais qu'un jour tomber sur ce blog.
Félicitations, ça me paraît être du beau travail.
A propos de rayures, il me semble que Leicester les utilise encore abondamment.
Quant à l'USAP, les couleurs catalanes (sang et or, ou gueules et or en héraldique) sont de plus en plus présentes sur le maillot alors que les couleurs traditionnelles du club sont: maillot bleu clair, short blanc et chaussettes sang et or. Le rappel à l'identité catalane ne se retrouvait que sur les chaussettes et le blason porté sur le coeur.
Le stade français a lui, en cédant aux attraits des paillettes et des maillots originaux (il paraît qu'ils sont avant gardistes et ont révolutionné le rugby qui n'existait sans doute pas avant eux), abandonné leurs couleurs historiques. Il est d'ailleurs bien difficile de faire un lien entre ce club qui fût jadis l'académie du rugby et celui d'aujourd'hui. L'abandon des couleurs est aussi celui de l'identité