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  • Sport "de contact" (3) Les corps

    Sport "de contact" (3) : les corps 

    J'en viens enfin, dans cette troisième note sur le contact, au corps-à-corps.

    Le contact avec le corps de l'adversaire.
    Il est admis, et même requis dans les regroupements (maul, mêlée), les plaquages, les "percussions". Il s'effectue selon des lignes de force et de mouvement variées : pousser, tirer à soi, recevoir l'élan adverse en même temps qu'on le percute.medium_PlaquageEvitement.jpg

    Cette admissibilité et cette obligation de contact est singulière dans un sport de balle et d'équipe - aucun des autres ne le pratique comme admissible et encore moins comme requis.

    Cela affecte bien entendu la notion d'évitement, de crochet, de zig-zag, de faufilement. Au rugby, l'évitement n'a pas pour objet l'interdiction de toucher l'adversaire, mais il est au contraire nourri de la possibilité de le faire. On n'évite pas l'autre parce que c'est interdit, on le fait parce que c'est un choix de jeu, parce que c'est l'occasion d'un leurre. L'évitement et le contact sont symétriques et non opposés.

    Le contact avec le corps du partenaire : enlacement scapulaire des premières lignes et imbrications épaules-fesse, bras-cuisses pour former la mêlée, poussée verticale pour la prise de balle à la touche, empilement des corps pour "soutenir" l'homme à terre qui va lâcher la balle.medium_Melee.2.jpg

    Tous ces contacts, d'apparence sauvage, sont en réalité disciplinés, parce que permis. Le rugby, contrairement aux apparences, fait dans la nuance, mais oui ! Il sait faire autre chose que le "tout interdit" et le "tout permis" (après match, et encore : quand ça se passe bien...) qui caractérisent un autre sport de balle en équipe dont on a compris que je ne l'aime pas. Nuance du permis-mais-pas-tout, canalisation, exercice et reconnaissance de la force, fabrique de jeux de mains mais pas de vilains.

    Contacts pensés parce que avoués et non forclos, visibles et non relégués dans un infra-monde d'où ils ne peuvent que surgir que comme d'un enfer. Il n'y a pas d'enfer au rugby parce que les forces infernales sont présentes : humanisées ici et maintenant.

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  • Sport "de contact" (1) : la balle, le joueur, la main

    Sport "de contact" (1) : la balle, le joueur, la main

    Ah, ce fameux "contact" ! comparaison toujours implicite et agaçante avec le foot... Mais alors que le foot pratique un "contact" brutal, méchant, sournois et transgressif (car en principe interdit) entre les joueurs se disputant la balle (je passe sous silence les papouilles et étreintes dès qu'un but est marqué : le spectacle en est tout aussi infantile), le rugby est une véritable culture du contact : il l'affiche, le permet, le civilise.

    Bien sûr quand on entend "contact" on pense aussitôt au contact entre les joueurs, mais le côté qui m’intéresse le plus n’est pas cet aspect choc "viril" (coment dit-on déjà ? ah oui, la "percussion"), c’est plutôt le contact du joueur avec la balle et aussi avec le sol, la terre. Aujourd'hui , je m'en tiendrai à la balle, ce machin ovale et semble-t-il parfois visqueux (voir l'article sur La Choule). Je parlerai également dans un autre billet de cette forme ovale.

    Au foot, on dit que la balle circule. Quelle pauvreté ! Au rugby, la balle ne fait pas que circuler : on la serre contre soi comme un objet chéri, cette "balle en forme d’Enfant Jésus" comme le dit Jean Lacouture(*).

    medium_Coquetier2.jpg

    On la pose délicatement comme si c’était un œuf avant de la taper en l'entourant de mini-maçonneries éphémères (petits talus en sable, en gazon - est-ce que la farine est autorisée ?) ou en recourant à cet accessoire en plastique qui ressemble vraiment à un coquetier.

    On est obligé de s’en dessaisir le plus ostensiblement possible quand on est à terre.

     On l’écrase avec son corps pour marquer l’essai - on l'"aplatit", comme si elle n'était déjà pas assez plate comme ça, mais cet aplatissement est aussi une signature…

    On la suit des yeux quand elle s'envole entre les poteaux ou en chandelle.

    On l'attend au rebond difficile à prévoir. On la cueille, bras mains et poitrine en cuillère dans l'arrêt de volée. On s'escrime en se poussant autour d'elle comme des bêtes en la dissimulant et dès qu'elle est sur le point de "sortir", on détricote les jambes pour bien montrer qu'elle est encore là ....medium_BalleRegroupement.3.jpg

     ....à dix centimètres des doigts avides du demi de mêlée : bientôt elle va passer des talons aux mains, dans une trajectoire dialectique comme celle des bateaux à voile : en arrière et sur le côté pour avancer...

     

    La balle, c’est à la fois ce qu’il y a de plus près et de plus loin, de plus fragile et de plus dur, de plus terrestre et de plus aérien, de plus rapide et de plus immobile, de plus caché et de plus visible. Son statut est multiple.

    medium_PresLoin2.3.jpg

     La balle n’est pas non plus un simple projectile qu'on envoie quelque part, ni un mobile que l’on manœuvre comme s’il était télécommandé. D'ailleurs un jeu de bistrot "baby rugby" sur le modèle du "baby foot", avec des leviers, des tubes coulissants et des percussions fixes, est impensable. Pas moyen de mécaniser ce machin-là, et les choses non mécanisables il faut les faire soi-même "à la main". C’est ainsi que je vois la main du rugbyman : la main n’est pas simplement un organe, mais surtout un schème. Ce jeu est de ceux qu’il faut jouer "à la main" comme quand je fais un calcul "à la main".

    Il ne suffit pas de dire qu'on joue au rugby avec les mains : c’est vraiment du "fait main".

    medium_LaMain.jpg

     (*) Jean Lacouture, Voyous et Gentlemen. Une histoire du rugby, Paris : Gallimard, 1973.

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