Marcel Polo, peintre d'un rugby emblématisé
Après Marine Assoumov, je découvre Marcel Polo, un autre peintre du rugby, lui-même ancien joueur. Moins prolifique (du moins d'après la visite de son site) que Marine Assoumov, il travaille dans un autre registre de la peinture, celui qui accentue la pure planéité, l'exposition qui avoue la surface - alors que semble-t-il Marine pratique une peinture de "sculpteur" hantée par la poussée physique d'une troisième dimension, une peinture dynamique fondée sur le débordement par elle-même. Tel n'est apparemment pas le choix de Polo, et c'est une vision bien différente mais pas moins intéressante qu'il nous offre : une vision à la fois spectaculaire (au bon sens du terme, qui indique un rapport contemplatif au regard) et stylisée.
Selon Hegel, la peinture se caractérise et s'extrait du champ plastique par son abstraction, la réduction à deux dimensions. Et l'histoire de la peinture moderne confirme par bien des points l'analyse de Hegel. Cette réduction, loin de se présenter comme un appauvrissement, est au contraire le lieu d'une réflexion sur la dimension absente et toujours évoquée, tantôt creusée comme vide et condition de possibilité par la perspective classique, tantôt contournée, rendue étrange et bouleversée (Cézanne) avant d'être à la fois niée et démultipliée par la peinture cubiste.
Le choix de Marcel Polo, dans ses toiles acryliques fortement colorées et composées mais aussi dans de très épurés et classiques lavis, est de faire sauter le rugby aux yeux de manière emblématique en soulignant paradoxalement le côté "tableau" - fixation, suspension du mouvement, encadrement, canalisation du regard. Paradoxe supplémentaire, mais qui n'est pas sans rappeler la notion même de terrain du jeu : le tableau ici ne déborde pas du cadre, mais il s'y inscrit et le suppose comme constituant. La peinture de Polo vérifie les très belles thèses de Georg Simmel (1) sur le cadre et ses fonctions d'exaltation, de haute concentration du visible avec effet "boomerang" sur l'oeil du spectateur. Des morceaux de corps sont ainsi présentés, nullement déchirés ou tourmentés, nullement arrachés par une violence extérieure au jeu, mais au contraire comme signes et comme métonymies du jeu. Une peinture presque à la limite du blason.
Mais la peinture, c'est un peu comme le rugby, la tauromachie, et l'opéra : il faut aller voir les oeuvres "en chair et en os" et de ses propres yeux. On attend donc l'annonce de la prochaine expo de Marcel Polo.
PS du 20 juin : Marcel Polo annonce sa prochaine expo au Stade de France du 7 septembre au 20 octobre. Vernissage jeudi 6 septembre 18h30, auditorium du village Rugbycolor.
Voir le site de Marcel Polo
1 - Simmel Georg, Le cadre et autres essais, trad. et préf. par Karine Winkelvos, Paris : Gallimard, 2003.
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