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  • Rencontre avec Christophe Dominici et analyse de son livre

    Rencontre avec Christophe Dominici et analyse du livre Bleu à l'âme
    Le doute et la force

     par Mezetulle

    Comme je l'ai annoncé sur ce blog il y a quelques semaines, j'ai rencontré Christophe Dominici le 19 juin dernier, dans le cadre d'un entretien pour Philosophie magazine qui réunissait aussi Martin Legros, Julien Charnay (respectivement rédacteur en chef et journaliste à Philosophie magazine) et Muriel Franceschetti photographe. Je remercie vivement Muriel et Christophe pour l'autorisation de publication des photos prises après l'entretien, ainsi que le café "Les Princes" (Paris XVIe) qui a hébergé toute l'opération.
    On peut lire l'entretien dans le numéro 12 (septembre 2007) de Philosophie magazine. L'article qui suit en est bien entendu complètement disjoint.

    ***

    Bleu à l'âme de Christophe Dominici, en collaboration avec Dominique Bonnot (éditions du Cherche-midi, 2007), ne s'ajoute pas aux nombreuses publications ou republications opportunément consacrées au rugby en ce moment : il s'en distingue. On n'y trouvera pas de technique rugbystique, pas d'analyse des dispositifs qui s'emparent des joueurs et des supporters ou qu'ils mettent en place, pas d'histoire ni de sociologie du rugby. Ce n'est pas non plus, malgré la rumeur qui s'acharne à le faire croire (parce que le livre est un succès, comme si c'était suspect pour un livre de bien se vendre !!), une autobiographie nombriliste. C'est le récit d'une construction de soi dont l'intérêt philosophique me semble devoir être souligné, ainsi que je l'ai dit dans l'entretien à Philosophie magazine.medium_BleuAL_ame.jpg

    "Je voulais donner à lire quelque chose de fort": c'est ainsi que Christophe Dominici présente son ouvrage. Quelque chose de fort, au-delà de l'histoire contemporaine du rugby, qu'il traverse et croise bien évidemment depuis son entrée à Toulon en 93 jusqu'au seuil de sa nouvelle qualification en équipe de France pour la Coupe du monde en passant par le (trop?) célèbre essai de 99 contre les All Blacks et sa rencontre avec Max Guazzini, c'est, à travers l'histoire singulière d'un enfant, d'un adolescent et d'un homme écorché vif, celle, universelle d'un "dur hypersensible". Nul oxymore dans cette conjugaison, car c'est le parcours d'une fragilité convertie en force, d'abord par dénégation et verrouillage puis par assomption et construction, qui est offert au lecteur.

    Passer aux aveux sans jamais rien céder sur la plus grande pudeur, oser le "gros mot" juste sans jamais afficher la moindre vulgarité ; loin des biographies conventionnelles écrites avec une plume-gonflette qui ressemblent à des body-buildés tout juste présentables le temps d'une saison, on retrouve ici ce que le genre biographique romanesque a inventé et souvent réussi avec bonheur : le sentiment que l'auteur, en écrivant pour tous, a écrit tout spécialement pour le lecteur que je suis. C'est pourquoi, en lisant ce que peut-être on n'aurait pas su avouer ni même s'avouer à soi-même, on est reconnaissant à l'auteur de l'avoir fait et de l'avoir porté au niveau d'une expérience humaine partageable précisément par sa singularité.

    Un enfant à la fois abandonné et hyperprotégé (mais n'est-ce pas, au fond, la même chose ?) devenu un adolescent qui se durcit, se diabolise en devenant odieux aux autres et surtout à lui-même, excessivement bagarreur puisque excessivement timide, échoue au Toulon rugby club dans une ambiance noire qui ne lui convient que trop ("il fallait être stressé, angoissé, porter un masque sinistre, sinon on n'était pas "dedans"" p. 43), mais qui à tous les sens du terme, le relève. Dès lors s'engage, comme diraient les philosophes (moi aussi j'ose les gros mots !), une sorte de phénoménologie de la fêlure comme constitutive de la force, de la fragilité comme condition de la fermeté d'âme et de corps, de l'exposition comme sagesse: "J'ai préféré le rugby au football pour me rapprocher davantage du ravin [...]"

    Toute la dialectique qui au lieu d'opposer les contraires, en montre et surtout en éprouve non pas la complémentarité figée mais l'identité profonde qui les fluidifie l'un dans l'autre (blessure et puissance, doute et certitude, angoisse et sûreté, séduction, jalousie et défiance de soi-même) est parcourue, pour le pire et pour le meilleur, ou plutôt du pire au meilleur. Car la question morale (allez, encore un gros mot) est soulevée avec constance : le programme philosophique général ("je ne fais pas cela pour qu'on me dise merci, mais pour donner un sens à ma vie") se traduit en pratique de terrain - en véritable "praxis" qui est un travail sur soi-même : remporter des victoires sur de toutes petites choses, "me servir de mon mal-être pour me transcender". On comprend que finalement ce qui est normal, c'est d'être mal et que c'est un très fort motif pour bien faire et être "quelqu'un de bien".

    Que le lecteur se rassure, le plaisir de lecture n'est pas restreint à celui de la sentence et de la maxime (même si ces délicieuses formes brèves se rencontrent assez souvent) : ce livre de morale, conforme à ce qu'il raconte et à ce qu'il met en pratique, aussi contrasté qu'un rebond ovale, aussi haut en couleur et accidenté que la vie elle-même, offre des narrations hautement comiques où l'on voit par exemple le "héros" à la fin d'un bal, après avoir fait pitoyablement le pitre sur le podium, s'affaler "à moitié dans les vapes" dans les bras d'une "autre" fille, autre bien sûr que celle qu'il n'avait pas osé courtiser... En un sens, on pourrait dire que tout le livre raconte comment un jeune héros baroque hyperbolique et précieux, en regardant en face sa propre fêlure, se convertira en héros classique, et rejoindra ceux qui osent gagner sans outrecuidance, qui osent tout vouloir et tout accomplir - amour, gloire, devoir - parce qu'ils en connaissent le prix et la fragilité et parce qu'ils n'en cherchent pas la route ailleurs qu'en eux-mêmes.

    C'est aussi ce que dit la fable, héritée par Christophe Dominici de sa rencontre avec Dylan "l'homme au pouvoir occulte" (p. 202) : "Les dieux se réunirent et dirent : l'homme est une machine très performante, capable de tout comprendre, de s'adapter à toutes les situations, de soigner ses maladies et panser ses plaies. Cachons-lui son bonheur à l'intérieur de lui-même. Les hommes sont tellement bêtes qu'ils feront le tour de la planète pour le trouver." L'occulte ne réside pas tant ici dans le pouvoir attribué à tel ou tel que dans le lieu et surtout la voie du bonheur. Mais comme l'a révélé le mythe ovidien d'Arachné - dont cette fable semble en partie inspirée - c'est une chose qu'il vaut mieux cacher aux dieux, tant ils sont jaloux!

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    Une photo prise après l'entretien (voir aussi l'album) que l'un de mes très proches amis a intitulée "La Sainte Vierge surprise par Sainte Anne s'emparant de l'Enfant Jésus", parodiant le célèbre tableau de Léonard de Vinci!

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    Photo Muriel Franceschetti

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    Léonard de Vinci La Vierge, Sainte Anne et l'Enfant Jésus. Paris, Musée du Louvre. Photo Réunion des Musées nationaux

  • La Planète ovale de J-Y. Dhermain

    Sur le livre de Jean-Yves Dhermain La Planète ovale. Dans les coulisses du rugby mondial
    ou le Tableau historique des progrès du rugby

     par Mezetulle

    Le livre porte bien son titre. Sous un aspect lisse - quoi de plus banal en apparence q'une série de monographies consacrées aux 20 meilleures équipes présentes lors de la Coupe du monde en France ? - et dans une écriture fluide qui enchaîne des récits assez alertes, l'ouvrage de Jean-Yves Dhermain La Planète ovale. Dans les coulisses du rugby mondial (Préface Serge Blanco, Tours, CLD éditions, 2007) aplatit le globe et rend une forme étrange à une planète dont la rotondité n'est pas sans accroc.

    Bien sûr, et c'est la moindre des choses, on y trouvera l'histoire, souvent passionnante, des grandes formations nationales : de quoi satisfaire la vue somme toute restreinte de l'amateur traditionnel. Le moyen d'échapper à la énième célébration épique de Jean Prat et de Lucien Mias, à la poisse de medium_Dhermain.jpgWilkinson, aux mensurations de Lomu, à l'ubiquité foudroyante de Keithwood, au ballon dans le brouillard à Bristol en 1908 ? Du reste, pourquoi bouder son plaisir en retrouvant tous les hauts faits dont l'histoire se nourrit certes, mais dont elle se détache, comme un motif se détache sur un fond ?

    Car on ne s'y trompera pas: l'auteur ne dessine pas une chanson de geste faite d'anecdotes transfigurées en mythes, mais un bougé planétaire dans lequel le rugby n'est pas simplement situé. Le rugby s'y voit au contraire promu en acteur de l'Histoire ("avec une grande hache" comme le dit Perec), théâtre et révélateur de combats - il mérite à ce titre le nom d'oeuvre.

    L'oeuvre du rugby : dans ses démêlés avec lui-même, c'est l'histoire des progrès humains (laquelle suppose aussi l'immobilisme et la régression) qui se décline sur les grasses pelouses d'Angleterre, les grands espaces des haciendas argentines, les terrains pelés de quelques bidonvilles "là-bas, au bout du monde". Sur fond de conflits sociaux, on y voit des nations s'arc-bouter sur un intérêt de classe ou de "race" (ou même les deux à la fois), d'autres introduire une brèche laborieuse dans la forteresse aristocratique longtemps défendue par un purisme formaliste - sans lequel pourtant le rugby n'aurait ni règles ni "esprit". Ce sont des histoires croisées qui opposent étudiants de bonne famille et gueules noires, snobs des quartiers chics et paysans, propriétaires agricoles et journaliers, Anglo-saxons et Latins, Blancs et "Non-blancs", dynasties de terroirs et talents urbains déracinés. On y voit tour à tour le rugby détesté comme étendard d'une colonisation honnie et le rugby capté, adoré, retourné et brandi fièrement au nez de ceux mêmes qui l'avaient introduit comme une marque de propriété.

    Tragique parfois, l'histoire peut aussi s'adoucir et prendre des airs de French cancan dans le comique aller-retour qui vit le rugby parisien snob s'étioler au profit du rugby d'Ovalie, puis revenir offrir aux jeunes urbains et au public féminin une scintillante carrrière rose fluo.

    Mais s'opposer signifie aussi se mêler, s'imbriquer les uns dans les autres comme des teignes et comme des peignes, et aussi s'affronter à soi-même. Sont mis aux prises des hommes pétris de contradictions et de complexités, et non des rôles immuables assignés d'avance : ainsi on voit le paysan français, naguère symbole populaire, se transformer en conservateur dynastique haïssant la grande ville (et avec elle sa banlieue : où on va ?), le public irlandais interdisant le God save the Queen à Dublin et acclamant sur la même pelouse l'équipe de la Rose en 1972 au plus fort des années sanglantes, rien que parce qu'"ils étaient venus", la bourgeoisie galloise soutenir les Diables rouges qu'elle exploitait au même moment dans ses mines, et l'honneur de l'humanité déjà relevé, avant le célèbre maillot de Nelson Mandela frappé de l'antilope, par Morné Du Plessis en Afrique du Sud.

    L'histoire a bien des points communs avec le rugby : son immanence et aussi sa dialectisation, sa sinuosité, une façon de forger l'Idée en passant par de petites choses, par des poussées et des reculades, une façon d'avancer non seulement malgré et à travers les obstacles mais aussi grâce à eux.

    Le sens de l'histoire ne lui est pas donné a priori de l'extérieur ; il se forge dans les difficultés et l'opacité des choses particulières. Dhermain a eu la bonne idée de scander chaque étude par une interview avec un joueur. Loin de tirer l'ouvrage vers un ton "people", ces respirations scellent au contraire par de solides rivets l'enjeu décisif et planétaire du rugby. Tous les joueurs sollicités sont en effet des "transplantés" notoires, des voyageurs, des explorateurs, des expatriés d'un moment, représentant à la fois l'enracinement et le dépaysement, la tradition et l'innovation, le "maintenant" et le "jadis et naguère", l'ici et l'ailleurs, l'actuel et le révolu.

    Avec Jean-Yves Dhermain, on souhaite que de prochaines Coupes du monde se dépaysent elles aussi, sortent du "village global" où quelques nations jalouses se défient en tournant en rond, et rendent la planète ovale.

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  • Les ondes et le haka. Le livre de Pierre Sein

    Les ondes et le Haka. Le livre de Pierre Sein All Blacks, les seigneurs du rugby (CLD éditions)

     par Mezetulle

    Le match France-Galles n'ayant pas été retransmis sur une chaîne de tv publique, j'ai trouvé un certain plaisir à l'écouter l'oreille collée à Sud-radio crachotante et l'oeil rivé sur le site de L'Equipe qui alignait les essais. J'avais tout, sauf l'image. Mais c'était bien une totalité, celle d'un récit et celle d'un affichage, totalité du temps et totalité de l'imaginaire alimentée par le réalisme du décompte égrené minute par minute. Et lorsque, à la 77e, le flamboyant capitaine Betsen a fait le choix de la mêlée plutôt que celui de taper la pénalité pourtant en face des poteaux, j'ai pu mesurer à sa juste valeur toute la rationalité de cette décision parce qu'aucune image ne venait jeter son jus aveuglant sur le double décompte que j'avais sous les yeux : différence au score + temps qui reste.

    Et je remets ça avec la radio ce matin. D'habitude je n'écoute France-Culture au petit déj' que pour me mettre dans une mauvaise humeur belliqueuse tant la bienpensance hurleuse y est exaspérante entre 7 et 9. Et là un délice de fraîcheur vient stimuler mon réveil : je tombe sur la chronique de Catherine Clément, consacrée aujourd'hui au Haka des All Blacks ! Elle replace cette cérémonie dans son contexte de culture, décrivant l'obligation d'exhiber le blanc des yeux comme une figure chorégraphique imposée, et soulignant l'importance des femmes dans ces différents dispositifs. Pas si terrible que ça au fond ("c'est l'histoire d'un mec..." tellement terrorisé qu'il se cache au fond d'un puits avec une nana assise dessus... et qui en ressort tout regonflé).

    Sans le savoir, Catherine Clément m'a donné le sésame qui m'a enfin fait ouvrir sereinement le livre que Pierre Sein a eu la gentillesse de m'envoyer juste avant sa parution : All Blacks, les seigneurs du rugby, préface de Patrice Lagisquet medium_PierreSein.jpg(Tours, CLD Editions, 2007). Livre qui m'en imposait par sa couverture, photographie de haka... et devant lequel je ressentais mon incompétence. Et c'est ainsi que Catherine Clément a commencé sa chronique d'ailleurs, par un trait aussi intimidant qu'un haka, celui de la rumeur toute puissante : "Les All Blacks, ceux qui écrasent tout...!" dit-elle.

    Voire... et voir aussi les statistiques que Pierre Sein a eu la bonne idée de placer à la fin de l'ouvrage. A regarder de près. Mais non ils n'écrasent pas tout : ils gagnent souvent, c'est sûr, mais..... Et me voilà, ayant commencé le livre par la fin, régressant au fil des pages, ce qui me permet de saisir le point conceptuel du livre, lequel m'avait échappé uniquement parce que je me laissais impressionner par une rumeur défaitiste "il n'y a qu'à subir et rien à penser". Ce point n'est autre qu'une question, un paradoxe, dont la formulation simple demandait un peu d'audace : comment une nation dont la population dépasse de très peu le tiers de celle de la région parisienne est-elle parvenue à en imposer autant par son rugby ?

    Outre qu'une partie de la réponse est déjà dans la question, j'ai aussi ma propre réponse, mais elle est très mal-pensante, peu vérifiable et encore plus provocatrice (sinon insultante) que la question... Aussi je préfère, pour plus de sérieux, vous renvoyer au livre de Pierre Sein : vous y trouverez, avec les nombreux et différents hakas bien sûr, de multiples réponses bien plus pertinentes, et qui ne sont pas toutes intimidantes. D'ou je conclurai, comme l'auteur le montre à plusieurs reprises, que leur bras de noir vêtu n'est pas invincible et que d'ailleurs il n'est pas invaincu : ce qui ne vérifie même pas un vers de Corneille, notre meilleur auteur de haka glorieux pour hommes aux longs cheveux !

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  • France-Angleterre bravo, et zéro pour France 2 !

    France-Angleterre bravo !
    Mais zéro pointé pour France 2

     par Mezetulle

    mediumTrès brillant match hier soir, vraiment convaincant et rassurant... 22 à 9, c'est sans discussion. Il semble que la fraîcheur physique et mentale du XV de France tienne la route pendant tout le match... et c'est à mon avis ce qui fait la différence. Je préfère le rugby béton au rugby champagne, le côté Cyrano de Bergerac me tape sur les nerfs (car Cyrano est un loser) ... Et quand il y a des bulles et du panache dans le béton, c'est encore mieux ! alors maintenant il faut continuer... et gagner !

     

    Mais que penser de la réalisation télé de France 2 ? Souvent à côté de la plaque. Je pense par ex à la 42e minute : on s'attarde longuement sur Vickery allongé sur le brancard alors qu'Elissalde est en train de taper une pénalité... le côté "jeux du cirque people et sports sanguinaires" a pris le dessus. Voyeurisme déplacé ? Même pas : puisque en 2e période, on n'est pas non plus mis au courant d'une pénalité... on voit autremedium chose avant que le réalisateur "réalise" que le jeu est ailleurs que sur l'image qu'il nous montre. Absence de professionnalisme : ils ne savent tout simplement pas regarder du rugby ! C'est comme si, dans une retransmission de concert, on nous montrait un instrumentiste juste au moment où il ne joue pas.

    mediumQue dire des commentaires, on passe une partie du temps à nous faire part des matches de foot qui vont avoir lieu au stade vélodrome et à faire de l'autopromotion pour les émissions sportives de Fr 2 ... est-ce bien le sujet ? Très peu d'explications, Galthié se contentait de suivisme... Je regrette vraiment les commentaires de Thierry Lacroix. Sans parler de Jérôme !!!

    Et la vulgarité de l'interviewer qui dit à Dusautoir à la fin du match "alors vous avez coupé quelques tranches de rosbif ce soir!!!" Dusautoir a gardé son quant-à-soi et toute sa lucidité et s'est bien gardé de saisir cette très vilaine perche qu'on lui présentait si complaisamment : monsieur Dusautoir, vous avez réagi pas simplement en pro, mais en gentleman.

    J'ai peut-être une idée un peu trop idéalisée du rugby, mais je trouve que la réalisation tv n'était vraiment pas à la hauteur ni de ce sport, ni de ce très beau match.

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  • Sur le livre de L.Bénézech (3e partie)

    Sur le livre de L. Bénézech Anatomie d'une partie de rugby (3e et dernière partie)
    L'immédiateté rustique du texte, l'urbanité décalée des photos

    Décidément, je n'apprivoise pas le livre de Laurent Bénézech Anatomie d'une partie de rugby (éd. Prolongations), il me glisse des mains, me fait commettre des "en-avant"... Pourquoi ce sentiment de porte à faux qui fait que je ne peux ni l'adopter ni le délaisser ?

    Comme je le soulignais précédemment, l'ouvrage se penche sur des notions et des affects, à l'exclusion de toute référence singulière - histoire, noms propres. Or on pourrait penser que, composé à parts égales de textes et de photos, les textes expliquent des notions, réservant la monstration directe des affects aux photos. C'est l'inverse : belle idée assurément, mais si les photos (remarquablement choisies) relèvent hautement le défi, il n'en va pas toujours de même pour le texte.medium_EnAvantBénézech.jpg

    A quelques brillantes exceptions près (de beaux chapitres sur "La Passe"... où toutes sont passées en revue p. 78, sur "l'En-avant" p. 80 ou encore sur "La Touche" où est avancée une très convaincante comparaison avec la danse contemporaine), le texte ne décrit pas, n'explique pas, ne conceptualise pas : il entend se placer à l'intérieur d'un psychisme - celui du joueur, celui du supporteur - pour le réactiver chez le lecteur. Ce sont donc des états d'âme qui, par des monologues, des dialogues intérieurs, des apostrophes, se succèdent dans une écriture qui recourt trop souvent à des palliatifs et des marqueurs d'insistance : majuscules hurlantes, italiques, exclamations, points de suspension.
    A force de vouloir être en sympathie avec le lecteur initié censé se reconnaître dans ces procédés détournés, cette écriture faite d'extériorité s'aliène le lecteur quelconque parce qu'elle est trop souvent un clin d'oeil à celui qui est dans le rugby comme un poisson dans l'eau.

    On m'objectera que tout texte intéressant produit un sentiment d'étrangeté. Certes, mais il le produit pour tous, et surtout pour ceux qui croient être en terrain familier. Le poète est capable de me rendre ma propre langue lointaine, étrangère : il l'arrache à l'idiome et la met en déroute pour la révéler. Or ici, c'est au contraire le parti-pris de familiarité et si j'ose dire de consanguinité qui domine le texte : le rugby y est ramené à son intimité, à ses affinités indicibles, il forme un cercle et une famille resserrés à laquelle je n'appartiens pas.

    Et d'ailleurs je ne suis nullement invitée. Le chapitre "Les Joueurs" (p. 24), chef d'oeuvre de littérature identitaire, me le fait rudement savoir. Ils sont plaisamment présentés sur le modèle d'une famille agricole, attablés autour du père, rompant un pain immémorial, à des places immuables depuis des générations. En toile de fond, des figures féminines figées dans ce que l'imaginaire collectif a de plus redoutable : une mère castratrice (l'entraîneur), une fille à séduire, et "quelques salopes malpropres" - allusion aux chansons paillardes de la 3e mi-temps (les épouses, quant à elles, en prennent pour leur grade dans le chapitre sur "L'Essai" p. 122 qui met aux prises un idiot de joueur et son imbécile de femme). medium_LeNain.jpg

    Dans ce tableau rustique on ne sait qui est le plus à plaindre, chacun occupant une place qu'il n'a pas choisie, mais qui lui a été attribuée par une destinée (son gabarit, son rang de parenté, son sexe, son âge, sa condition...) le mettant perpétuellement hors de lui et jamais en exigence d'être lui-même. Tout le contraire de l'héroïsme : rien que les vertus conventionnelles d'un régime révolu ! Et le coaching est arrêté depuis belle lurette ; aucune place à prendre, aucune circulation ne vient aérer ce tableau étouffant: jeunes urbains, passez votre chemin, on n'a pas besoin de vous.
    Il ne suffit pas de peindre des paysans dans une touchante scène de genre nostalgique pour parvenir à la cheville d'un Mistral, et encore moins à celle d'un Virgile.

    Alors quel soulagement de quitter la page écrite pour aller poser son oeil à côté, au revers, en marge, en hors-texte et de voir sur ces magnifiques et judicieuses photos tant d'innovation, tant d'ouverture, tant de questions, tant de réflexion, tant d'aspérités, tant de sollicitations pour la pensée, tant de décalages, tant de bougés, tant de cocasseries aussi : toute cette rigide consanguinité est balayée, remise en question et décoiffée par le talent, l'élégance, la présence d'esprit, le doute, et par un usage inventif de la force, lesquels n'excluent pas les maladresses ni les échecs.

    A elles seules, les photos parviennent à faire comprendre, parfois malgré le texte qui les environne, comment la civilisation héroïque a su traverser les âges, s'extraire des villages et des terroirs pour n'en retenir que les saveurs exquises, circuler à travers le monde, se griser d'autres chants que de paillardises, et se greffer sur le monde moderne.

    [N.B. La photo de la p. 83 (F. Nataf, L'Equipe) est celle de mon exemplaire personnel du livre. Elle est publiée à des fins strictement didactiques, en illustration directe des propos tenus dans cet article.] 

    Voir le premier article "Un purisme du concept et de l'affect"
    Voir le deuxième article "Le rugby serait-il démocratique par nature ?"

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