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Concepts, art, littérature - Page 2

  • Carpe diem

    Carpe diem. Heureux ceux qui ont appris à lire dans Horace

     par Mezetulle

     "Cueille donc le jour présent, sans trop te fier au lendemain". Que vient faire ici la célèbre citation de l'Ode à Leuconoé d'Horace ? Mais exactement ce qu'elle fait, tatouée sur les reins de Trevor Hall, le 7 du Biarritz Olympique qui, se faisant passer un petit coup de massage-gel aérosol vendredi dernier lors du match contre Montpellier, a medium_Horace3.jpgcomplaisamment laissé le soigneur remonter son maillot sous la caméra de Canal +, me laissant juste le temps de reprendre mon latin... Carpe diem, oui oui, c'est bien ce que j'ai lu, je n'en croyais pas mes yeux... Et l'équipe du BO l'a bien cueilli, ce jour de victoire, comme une fleur sur la pelouse de Montpellier.

    Je n'y serais pas revenue si, ouvrant ce matin Le Parisien, je n'avais encore rencontré la citation, à peine voilée, dans les déclarations de Morgan Parra le nouveau demi de mêlée du XV de France, et sans l'accompagnement ordinaire du contresens jouisseur qui, encouragé par une lecture hâtive de Ronsard, la déforme trop souvent. Au contraire, la voilà reprise et assaisonnée comme il convient à la belle sauce antique du "kairos" (l'occasion à saisir et qui ne repassera pas):

    Là on me donne ma chance, à moi de la saisir pour l'affirmer. Je prends chaque jour comme un nouveau bonheur.

    Et on a même une variante sur Rugbyrama :

    Moi, je prends les choses comme elles viennent, je profite du plaisir et du bonheur que me procurent ces moments.

    Tout l'esprit du jeu est là, dans cette saveur du présent qui s'offre et qu'il ne faut pas laisser fuir en s'empoisonnant à la coupe du tourment possible à venir. C'est tout ce qu'on lui souhaite: cueillir, avec la toute jeune équipe, ce 23 février contre l'Angleterre sur la pelouse du Stade de France, et si possible nous offrir le bouquet du beau jeu qui pense d'abord à lui-même. Heureux ceux qui ont appris à lire dans Horace. Et qu'on puisse continuer la lecture des poètes avec Corneille :

    Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées
    La valeur n'attend pas le nombre des années.

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  • Saturne, un dieu fort inquiétant

    "Il porte un joli nom, Saturne, mais c'est un dieu fort inquiétant"
    Réflexion (encore) sur le temps

     par Mezetulle

    Avant de regarder un match de l'équipe de France, je prends mes précautions en faisant une petite heure de cardio-endurance. D'abord ça me déculpabilise : je ne suis pas une sportive en chambre, et je peux tranquillement medium_elliptique.jpgavaler un peu de malbouffe comme il sied pendant le match, le derrière vissé sur mon canapé. Mais surtout,  j'ai pris cette habitude salutaire à force de regarder les matches du Stade français, horripilants et délicieux tellement ils sont incertains et victorieux de justesse en dernière minute. Pas besoin, comme le dit Brassens, de traverser des "équinoxes funestes" pour que "le petit bout de coeur qui me reste" (ou plutôt que mes chouchous me laissent) batte la breloque: il suffit de regarder le chrono. Les dix dernières minutes surtout.

    France-Irlande samedi 9 février. Ma séance de cardio semble bien être une précaution inutile cette fois. Voilà que, souverains en habileté, servis par une double paire de chaussures orange, même qu'on aurait dit les ailes de Mercure multipliées par deux, la partie aérienne et flamboyante des dieux de l'Olympe en maillot bleu nous installe sur un nuage à la mi-temps avec une très confortable avance au score. Ouf mon coeur on peut rester calme.
    Sauf que la partie terrestre et infernale des mêmes dieux fait défaut au cours de la deuxième période : les cartouches de l'habileté ne peuvent être tirées que si le soubassement de la force et de la persévérance (version morale de la force) tient jusqu'au bout. Sans Vulcain, sans Pluton, sans Neptune et leurs ministres obscurs, Mercure, Minerve et Jupiter lui-même sont impuissants. Et c'est là que le retour des dieux de la première génération risque d'être fatal sous la conduite du terrible Chronos (Saturne en latin), le temps qui dévore ses enfants. Le chrono, transformé en machine à dévorer les pointsmedium_SaturneCourteysEcouen.3.jpg d'avance allait-il transfigurer les diables verts irlandais en titans ? Non, mon coeur, mais tout de même, cinq minutes de plus et on était mal, non ?
    Les Anglais, ce dimanche, ont eu quelques sueurs froides aussi, grignotés sur la pelouse du stade Flaminio à Rome par un Chronos qui commençait à pousser les Azzuri...

    Voilà pourquoi, lorsque (dans ma première vie) j'étais professeur, je prenais soin, en faisant passer un examen oral, d'observer rigoureusement le temps limité de l'épreuve: vous n'imaginez pas le nombre de bêtises qu'on peut faire dire à un élève, surtout s'il est brillant, rien qu'en medium_chronosGoya.jpgpoussant un peu le chrono...

    Imaginons maintenant un match qui durerait tout le temps, sur un terrain sans limites, un jeu qui ne s'arrêterait pas, une pièce de théâtre dont on ne verrait pas la fin, comme ce terrible et bien nommé Outrage au public de Peter Handke. Outrage absolu : à l'habileté, à la force elle-même, et à la liberté.

    Et comme le dit encore le poète "Il porte un joli nom, Saturne, mais c'est un dieu fort inquiétant".

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  • Réflexion sur la certitude et la sûreté

    Réflexion sur la certitude et la sûreté (France-Ecosse 3 février 08)

     par Mezetulle

    Pour un coup d'essai, ce fut un coup de maître, ce premier match du nouveau XV de France à Murrayfield remporté largement 27 à 6 ! Une rencontre ouverte, alerte, du jeu, beaucoup de jeu. Et surtout, au-delà et même avec quelques fautes, de l'allant, de la confiance, de la cohésion. Aucune crispation, à peine un peu de fébrilité... juste un peu chez les "vieux" bien entendu, qui ont sans doute des souvenirs cuisants de stress, mais on pardonne à Elissalde ces deux pénalités manquées. On aurait dit qu'ils jouaient ensemble depuis plusieurs mois...

    Ce qui me semble le plus caractéristique de cette entrée remarquable sur le terrain de la certitude est le comportement de la mêlée bleue. A la fois étonnant et rassurant : plus que bousculée tout d'abord, jusqu'à perdre un ballon sur introduction française, elle s'instruit elle-même de ses faiblesses, de ses dérapages, de ses erreurs et parvient à inverser la tendance en devenant puissante, dominatrice, sûre d'elle-même. Même si le "coaching" y est pour beaucoup, l'effet est tout de même présent : les néobulls, relevés par les paléobulls, ne peuvent, ne doivent que faire mieux.

    medium_Taureau.jpgOn dit que le toro de corrida apprend tout en vingt minutes, il devient alors presque humain, pervers, retors, hésitant, et retarde ses actions : ayant perdu la sûreté de la bête, il est exécuté.

    Les néo- et paléobulls de la mêlée bleue apprennent tout d'eux-mêmes et des autres en une moitié demedium_Melee.3.jpg mi-temps (si je calcule bien, ça fait aussi vingt minutes). Mais c'est, tout au contraire, pour chasser l'angoisse sans tout à fait l'abolir, prendre conscience de leur puissance et, toute fragilité surmontée, en relevant de leurs erreurs comme on revient immunisé d'une maladie, pour conquérir la sûreté d'une presque-bête dans sa variante hautement humaine, qui s'appelle la certitude. Aussi on leur souhaite longue vie, comme à la balle qu'ils font vivre. 

    P.S. J'avais bien dit que, entre le cognac et le whisky, mon choix était fait ! Sauf que, partant pour Londres demain pour 3 jours, je ne pourrai que savourer ce bon début de Tournoi dignement dans un pub.

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  • Une petite fille dans un monde de brutes?

    Une petite fille dans un monde de brutes ? Auch-Toulouse, 25 janvier (3-34)

    Sous la lumière crue des projecteurs, une petite fille hors d'haleine traverse dans sa longueur un terrain où s'affrontent des grands garçons autour d'un ballon.... Apeurée ? Esseulée et abandonnée par des parents indignes sur une pelouse de brutes où elle n'a que faire - et en nocturne en plus? Mais non, vous n'y êtes pas : on est à Auch, sur un terrain de rugby, ne vous faites pas de mauvais sang.

    medium_SupportersViolents.jpg C'est la fin du match, les supporters (de Toulouse ? d'Auch ? ah voilà bien encore une question de f.. ooteux...) envahissent le terrain. De plus le match n'est pas vraiment fini, l'aire sacrée hors temps et hors espace vient d'être violée par des enthousiastes peu regardants sur les règles. Ce devrait être le moment de tous les dangers, d'autant plus que l'équipe qui reçoit subit une large défaite. medium_Sablier.2.jpg

    Sauf que c'est du rugby, et que c'est comme au théâtre, comme au concert, comme à l'opéra : il y a un temps formel et un temps objectif et parfois ça s'emmêle un peu les pinceaux en un moment qui, redoutable en principe, est ici délicieux. Le temps formel, celui des chronos, est épuisé : la sirène a annoncé la fin des 80 minutes. Toulouse a largement gagné de toute façon. Mais le temps objectif, celui de l'action, est en cours : l'arbitre n'a plus d'yeux que pour devenir spectateur, pour subir à son tour la loi du jeu, de ce qui se passe vraiment. Car l'action en marche, comme toujours, est grosse d'un essai, elle n'est pas finie et elle est désormais seule maîtresse du temps (1).

    Et voilà-t-il pas justement que l'essai d'après-dernière minute est marqué par les visiteurs. La messe est archi-dite, non ? Comme les auditeurs enthousiastes d'un concert qui n'attendent pas le silence après la dernière note pour applaudir, une partie du public envahit le terrain. Notons bien que c'est pour applaudir les visiteurs victorieux et les vaincus qui se sont si bien défendus, et les petites filles ne sont pas les dernières dans cet exercice chaleureux. Mais attendez, tout de même, il y a la transformation ; même ultra-facile, elle pourrait être manquée.

    Le moyen de virer les supporters indiscrets d'un terrain de jeu de balle collectif ? Appeler la police ? Mais non, vous n'y êtes pas, on est à Auch, sur un terrain de rugby, et il y a des petites filles qui sautillent sur la pelouse, c'est normal. Il n'y a qu'à leur dire : attendez, ce n'est pas fini, il y a la transfo, poussez-vous un peu. Quelques index pointés avec le sourire suffiront, tout le monde comprend au quart de tour et pivote à toute vitesse pour rentrer en courant dans le monde profane, au-delà de l'enceinte sacrée encore quelques secondes.

    Le temps de cette course ajoute une troisième temporalité à celles que j'ai déjà repérées ; à quoi se mesure ce troisième temps de l'emmêlage des pinceaux, hors temps, mi-profane mi-sacré ? A la vitesse des jambes d'une petite fille de six ans, folle de joie, traversant un terrain de rugby dans sa longueur pour ne pas transgresser la règle plus longtemps... et pour voir une transfo en suspens.

    Merci au cameraman de Canal+ d'avoir montré ce moment à la fois dérisoire, drôle et édifiant : après cela, qu'on ne vienne plus me dire que le rugby est un sport de brutes.
    Au fait, l'essai d'après-dernière minute fut transformé. Maintenant je sais pourquoi on attend toujours un peu avant de frapper au but, dans un moment d'après-dernière minute où tout est pourtant déjà joué : pour que les petites filles de six ans terminent leur course.

    1 - Sur la temporalité du rubgy, lire aussi sur ce blog :  Bourgoin essouffle le temps et France-Ecosse, hymne à Saturne.

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  • Un rugby blues spectral joué par des ectoplasmes bodybuildés

    Un rugby blues spectral joué par des ectoplasmes bodybuildés
    (sur un article de Robert Redeker)

     par Mezetulle

    Je viens de lire un article de Robert Redeker paru dans la dernière livraison de la revue Les Temps modernes (n° 645-646, déc. 2007) intitulé "La Coupe du monde hantée par les spectres du rugby".  Réfléchissant sur une "mutation dont le sport a été l'objet ces deux dernières décennies" - c'est-à dire, à travers sa professionnalisation et ce qu'on medium_TempsmodernesJan08.GIFpourrait appeler une sorte de gladiatorisation, la disparition du jeu et sa dévoration par le sport-spectacle lourdement sponsorisé et manipulé par l'univers marchand -, Redeker propose une analyse sombre de la dernière Coupe du monde. Le rugby est, selon lui, le dernier produit un peu frais que le marketing sportif s'est mis sous la dent pour le placer en tête de gondole d'un supermarché où il ne pourra que se frelater et perdre toute sa saveur. Témoin, l'alignement des gabarits sur celui d'un superjoueur "robocop" en lequel on ne peut plus se reconnaître.

    La problématique des relations perverses entre jeu et sport (1) est mobilisée pour conduire à une conclusion déprimante qui convoque des ectoplasmes bodybuildés sur le terrain :

    Ce qui jusqu'il y a une vingtaine d'années n'était qu'un jeu sans prétentions, un sport amateur, est devenu un sport important. Dévoré par l'esprit de sérieux engendré par les enjeux économiques, les investissements financiers, l'obligation de faire de l'audimat [...], le rugby vient de subir une funeste mutation. Pendant cette coupe du monde, l'amateur nostalgique et éclairé n'aura pu voir que des spectres. [...] Plus le rugby s'intègre au télé-spectacle mondial, plus il se peuple de fantômes.

    Même si on n'est pas d'accord sur toute la ligne ici avec Robert Redeker, même si la supportrice du prétendu "rugby-paillettes rose vif" que je suis en prend pour son grade, même si on retrouve avec un peu d'agacement les soupirs du "tout-fout-le-camp" cher au rugby-blues, c'est toujours un plaisir de lire ses textes musclés, exaltants et dépressifs à la fois. Ce n'est pas son moindre mérite que de rappeler fortement que, un peu comme la danse, le sport consiste avant tout à bouger pour rien. 

    1 -Je me permets de renvoyer à un article sur ce sujet publié dans mon blog principal : Sport, jeu, fiction et liberté: W de Georges Perec.

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