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Concepts, art, littérature - Page 5

  • Sur le livre de L. Bénézech (1re partie)

    Sur le livre de Laurent Bénézech Anatomie d'une partie de rugby.
    Première partie : un purisme du concept et de l'affect

    Passant mes étés invariablement dans l'Ariège depuis plus de 30 ans, je ne pouvais manquer d'y emporter le livre de l'Appaméen (1) Laurent Bénézech Anatomie d'une partie de rugby, Editions Prolongations, 2007.

    Ce livre est attachant et agaçant, superbe et défaillant, merveilleusement pensé et quelquefois un peu débraillé, somme toute homomorphe à son idée principale que je crois profondément juste : le rugby est fondé sur des contradictions, lesquelles ne sont pas dissimulées, mais au contraire avouées et exhibées pour être sinon résolues du moins traitées. Tellement attachant et tellement agaçant qu'il me faudra plus d'un article pour en parler.medium_Bénézech.jpg

     Je commence par le coup d'oeil du professionnel de la lecture. Je feuillette, je tâte, je tourne le livre entre mes mains.

    Un beau format in quarto, avec de superbes photos parfaitement choisies: presque toutes illustrent en effet une contradiction, un point qui rehausse et expose l'étrangeté du rugby, qui en souligne le fort caractère "pas rond" - je retiendrai de façon emblématique celle de la p. 27, où l'on voit unis, debout et de dos, un deuxième ligne gigantesque enveloppant de son bras gauche un petit trois-quarts dont la tête vient s'ajuster dans l'aisselle de son coéquipier.

    Une division en sections et chapitres qui explicite la démarche analytique annoncée par le titre. C'est une dissection en quatre phases : les acteurs (joueurs, arbitre, ballon, stade, supporters, terrain), l'avant-match (vestiaire, échauffement, entrée sur le terrain), le match (du coup d'envoi au coup de sifflet final, tout est passé en revue dans cette énorme section), l'après-match (vestiaire bis, dirigeants, 3e mi-temps).

    Le principe de cette anatomie est intérieur : celui des états d'esprit, des humeurs, des émotions ressenties par le joueur et le supporter. Ce n'est pas un récit, ni une mise à plat, mais une analyse inspirée par une pathétique.

    Là aussi, la photo pointe toujours l'instant décisif, ce que Barthes (2) medium_Barthes.jpgappelle le "punctum", de l'angoisse de l'avant-match à la solitude du buteur en passant par l'en-avant - cette escapade facétieuse du ballon, comme s'il avait de l'esprit -  et par la chorégraphie de l'échauffement. Avec des métonymies qui disent tout : une main sur un genou, une poigne froissant un short, une nuque hirsute barrée d'élastoplast dont émanent la force et le doute..



    Voilà qui est très bien fait, très intelligent et passionnant au sens strict. Mais aussi quelque chose me dérange, m'échappe. Quoi au juste ?

    Les photos ? Pas de référence. La liste sèche des crédits photographiques p. 160 satisfait aux obligations légales, mais elle est impossible à manier : protectrice pour l'auteur et l'éditeur, elle reste stérile pour le lecteur. On ne sait pas qui est sur la photo, de quel match il s'agit, quand elle a été prise. Pourquoi, en réduisant la photo à sa seule fonction d'illustration conceptuelle, priver celle-ci de sa référence empirique - comme si le concept devait nécessairement être débarrassé de ses occurrences hic et nunc?

    Un excellent lexique des termes techniques (p. 156-157) avec une admirable formule livrant les points dont l'étude est nécessaire et suffisante pour "suivre un match de rugby sans problème". On comprend tout, et surtout qu'on ne peut pas comprendre sans un minimum d'étude. Et à côté de cela, très étrangement, pas de références ni en note ni en bibliographie même sommaire. Alors je suis prise d'un doute : cette absence relève-telle de la lacune ? Et si c'était voulu ? En y pensant bien, c'est comme les photos: même lorsqu'on y reconnaît une personne, celle-ci n'est pas nommée... 

    Tout se passe comme si une option délibérée d'effacement de toute particularité de lieu, de temps, d'action, de personne, avait été prise. Me voilà feuilletant le texte de nouveau, à la recherche d'un nom propre dans le corps de l'ouvrage... mais oui c'est bien ça. Le livre de Laurent Bénézech se propose le tour de force inverse du roman de Denis Tillinac : écrire la singularité du rugby sans consentir à ses occurrences particulières, personnelles, historiques. Tracer l'épure analytico-pathétique d'un rugby pérenne, et rien d'autre. Et de relire le titre, aux termes soigneusement choisis: anatomie d'une partie de rugby et non d'un match, dont on se demanderait inévitablement lequel. Une partie dont on découpe les parts pour en écrire la partition.medium_encyclopédie.2.jpg

    J'émets alors l'hypothèse que le modèle secret de Bénézech serait l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, en plus orgueilleux. En plus orgueilleux, car si l'Encyclopédie exclut de ses entrées les noms propres de personnes, elle s'honore bien au contraire dans ses articles de citer ceux qui ont contribué aux progrès des notions traitées... Bénézech ne s'embarrasse pas de tels détails et préfère une flamboyante tour d'ivoire, qui peut se révéler à l'occasion bien confortable : le moyen le plus sûr d'éviter de se brouiller avec beaucoup de monde est encore de ne citer personne! 

    Cette décision provocatrice, ce purisme du concept et de l'affect (malheureusement non assumé, car on cherche en vain le Discours préliminaire qui en brandirait clairement et distinctement le flambeau) pourraient bien me plaire un peu trop, et me donnent des démangeaisons, une furieuse envie de gratter, de continuer, et de me battre avec un livre auquel j'en veux de ne pas avouer son audace.

    Il faut alors entrer dans le contenu, et commencer par le début. 

    A suivre... Voir la deuxième partie : "Le rugby serait-il démocratique par essence ?"
    Voir la troisième et dernière partie "L'immédiateté rustique du texte, l'urbanité décalée des photos"

    1 - Appaméen : c'est ainsi qu'on désigne les natifs et / ou les habitants de Pamiers, ville natale du musicien Gabriel Fauré.

    2- Roland Barthes, La chambre claire. Note sur la photographie, Paris : Cahiers du cinéma /Gallimard/Le Seuil, 1980.

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  • La violence et la voix : rugby et opéra

    La violence et la voix: rugby et opéra

    par Mezetulle

    Pour faire faire la guerre à un Anglais, dites-lui que c'est du sport ; pour faire faire du sport à un Français, dites-lui que c'est la guerre. 

    La plaisanterie, bien connue de tous les studieux de la méthode Assimil, ne changerait pas de nature si on s'avisait d'intervertir les nationalités (comme le montre cruellement la vidéo ci-dessous) ou de les remplacer par d'autres, à volonté. C'est que sa structure dit une vérité dont le rugby joint les deux pôles.

     

     

    Sport à la fois collectif et de combat, le rugby se situe éminemment et ouvertement au carrefour des violences de la guerre et du jeu. Eminemment car plus que tout autre sport il est une allusion à la guerre, une guerre élémentaire à mains nues qui ne requiert pas d'autre arme que celle des corps. Ouvertement parce que, loin de dissimuler ou d'évacuer ce rapport à la nudité de la violence, il en fait au contraire l'aveu.
    Mais l'aveu, pour pouvoir être avouable et supportable, ne s'y déploie qu'à la faveur d'un apprivoisement de la violence de groupe: intégrée, tolérée et même parfois requise, elle y est à la fois admise et disqualifiée, dialectisée par toute une batterie de mouvements contraires dont j'ai déjà parlé sur ce blog.

    Freud a montré qu'une civilisation ne peut s'installer que sur le renoncement aux pulsions, mais ce dernier peut prendre deux formes. Entre l'exclusion totale (le refoulement) et la sublimation, le rugby opte pour la sublimation : il choisit de "faire le tour" de la violence, au double sens d'une exploration et d'un escamotage.
    Cela explique peut-être pourquoi le public n'y connaît pas les explosions de violence guerrière : les gradins n'y sont pas menacés du terrible retour du refoulé qui tout au contraire saisit trop souvent ceux du foot - sport "clean" qui opte pour le refoulement de la violence sur le terrain.

    Voilà aussi pourquoi on peut comparer la jouissance de l'amateur de rugby à celle de l'amateur d'opéra.
    "L'opéra est le dernier des sports sanguinaires" déclarait le pianiste Glenn Gould dans sa diatribe contre le concert public (1) - suggérant que les auditeurs, en désirant et en redoutant le contre-ut de la soprano, viennent assister à une sorte d'exécution.

    Plus subtilement, le regretté Michel Poizat (2) a soutenu que la voix d'opéra, voix extrême à la fois au plus loin et au medium_Poizat.jpgplus près du cri, à la fois extrêmement travaillée et extrêmement sauvage, est une assomption et un escamotage de ce que sans elle on n'entendrait pas du tout ou de ce qu'on n'entendrait que trop.

    Ce que vient entendre l'amateur d'opéra - un objet à la fois perdu et produit par la civilisation - ressemble effectivement à ce que vient voir l'amateur de rugby - une violence collective à mains nues qui en l'absence de règle serait meurtrière, mais qu'il est tout aussi dangereux de condamner à la forclusion.

    De même que l'opéra relève le cri, le rugby relève la violence de groupe. Il la relève à tous les sens du terme : il l'exalte en l'élevant mais pour cela il doit la remplacer.

    Souhaitons que le cri de ralliement du XV de France, à l'ordre du jour en ce moment, puisse nous donner, comme à l'opéra, un frisson sublime et civilisé: qu'on puisse l'admirer, le reprendre, et aussi qu'il fasse un peu peur.medium_OpéraEtBlanco.2.jpg

     

      Le Palais Garnier avec la boutique Serge Blanco

    (On les voit mieux dans cet article-là

     

    1- Glenn Gould, Le Dernier puritain (entretiens avec Bruno Monsaigeon), Paris: Fayard, 1983 et 1992.

    2 - Voir notamment de Michel Poizat L'Opéra ou le cri de l'ange, essai sur la jouissance de l'amateur d'opéra, Paris : Métailié, 1986, 2e éd. 2001.

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  • Christophe Dominici Bleu à l'âme (et photos avec La Choule...!)

    Christophe Dominici, Bleu à l'âme (en collaboration avec Dominique Bonnot, Paris : Le cherche midi, 2007)
    "Un vestiaire de rugby, ça sent la peur, le doute et la force"

    J'ai eu la chance de rencontrer Christophe Dominici le 19 juin, dans le cadre d'un entretien (à paraître dans Philosophie magazine de septembre) qui réunissait aussi Martin Legros, Julien Charnay (respectivement rédacteur en chef et journaliste à Philosophie magazine) et Muriel Franceschetti photographe.

    Edit du 31 août : l'entretien est paru dans Philosophie magazine n°12. Et l'article dont il est question ci-dessous est en ligne sur La Choule

    Après quelques heures de mise en ligne le 3 juillet, sensible aux raisons de priorité éditoriale avancées par Philosophie magazine, je consens bien volontiers à retirer l'article d'analyse écrit par mes soins pour La Choule sur le livre de Christophe Dominici, (illustré de trois photographies prises pendant l'entretien amicalement envoyées par Muriel Franceschetti que je remercie ainsi que Christophe pour ce beau cadeau). Ce texte sera intégralement republié sur La Choule en même temps que le numéro de Philosophie magazine contenant l'entretien conduit par Julien Charnay et Martin Legros.

    Mais chers amis qui avez vu cette mise en ligne le temps d'une éclipse, vous n'avez pas rêvé : voici juste un petit témoignage pour vous montrer que je n'affabule pas, avec l'autorisation de l'ensemble des intéressés ...

    medium_ChristopheDCK190607c.2.jpg

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  • La Monnaie ne paie même pas de mine

    La Monnaie ne paie même pas de mine

     

    Après la peinture, la gravure. La vénérable institution qu'est la Monnaie de Paris édite une pièce de 20 Euros à l'occasion de la Coupe du monde de rugby. Bien, très bien. Allons-y voir d'un peu plus près.

    En voici l'avers : .....medium_MedailleCoupeVerso.jpgmedium_MedailleCoupeRecto.jpg

                          ...... et le revers :

     

     

     

     

    Et là j'enrage, en voyant cette prétendue simplicité qui me semble plus proche de l'indigence. C'est plutôt fruste.

    Franchement, ils ne se sont pas cassé la tête. La gravure est sommaire, fondée sur l'aplat (il vaudrait mieux dire l'"aplati") et l'évitement de talent... le "pas nous pas ici pas maintenant", sans aucune trace du raffinement dont pourtant les artistes qui travaillent pour cette institution sont hautement capables...(voir par exemple sur le site la récente monnaie Vauban, qui a quand même une autre gueule, ou la série des monuments de France). Mais au fait, le rugby, ce n'est pas raffiné... mais oui, mais c'est bien sûr : la médaille est homomorphe à cette idée répandue ! Il faut dire que la pièce de la Coupe du monde de foot l'an dernier était à peine plus inspirée - heureusement pour le foot, les monnaies sont rondes ! Pourtant, la Monnaie nous avait habitués à beaucoup mieux avec sa médaille "Cinq nations" (voir le verso sur le site en cliquant sur la médaille (1)).medium_Médaille5_nationsREcto.jpgmedium_MonnaieFoot.jpg

    Cette pauvreté (je ne parle pas des prix, qui s'échelonnent, pour la même gravure, entre 28 et  651 € selon le titre de métal précieux) semble être devenue une veine minimaliste récente qui, malgré de beaux restes, s'étend de plus en plus. On sait que, par comparaison avec celles des autres nations qui n'ont pas hésité à puiser heureusement dans leur patrimoine artistique et historique (2), les pièces françaises de la monnaie européenne brillent par leur manque d'imagination et par conséquent d'images emblématiques : une récente exposition au cabinet des médailles de la BnF proposait ce piètre constat dans son document de commentaire. La frilosité honteuse est devenue un sport national bien-pensant, qui nous a récemment privés de la célébration d'Austerlitz, a mis un étouffoir sur le 4e centenaire de Pierre Corneille, et fait toujours obstacle - on ne sait pour quelle raison - au transfert des restes de Descartes au Panthéon. C'est sûrement très vilain d'avoir fait que "... les trônes, comme des feuilles mortes, se dispersaient au vent", d'avoir inventé la géométrie analytique, l'optique, la subjectivité moderne et - je garde le pire pour la fin - d'avoir écrit en alexandrins.

    (Heu, là, je suis presque sûre que Tillinac m'approuverait... ? Je suis vraiment injuste avec La Monnaie, car on trouve dans la collection une pièce Austerlitz, une médaille Descartes - voir ci-dessous - et une médaille Corneille. Mais je suis de méchante humeur : ce n'est pas fini, je continue sur ma lancée scrogneugneu.)

    Ma contemplation navrée de cette indigente pièce d'or s'enrichit encore d'un détail déprimant. Elle reproduit bien entendu l'inénarrable faute d'orthographe devenue obligatoire : on ne met pas Euro au pluriel même quand il y en a 20, de peur que quelques malcomprenants s'égarent. Du coup ceux qui croient que c'est écrit dans une langue n'y retrouvent même plus leur latin. Et si vous regardez bien une pièce de 50 centimes, on y lit dans ce nouveau sabir: "50 Euro cent" ce qui devrait, si on se risque à rétablir un ordre des mots intelligible et si on compte bien, faire 50 fois 100 = 5000 Euros, non ? Allez expliquer à votre percepteur que vous le payez de cette monnaie...

    Tout ce que j'espère c'est voir en septembre un XV de France libéré de cette "humilité vicieuse" (3), et quelques matches signés d'une écriture flamboyante s'inscrire dans la mémoire : il faut au moins cela pour résister à une conversion en pieux "devoir de repentance" ou autre génuflexion pauvre en matière et en esprit. Oser gagner autre chose que des sous, c'est mal ?

    1 - Au revers, je sais, les puristes feront observer que la mêlée a tourné de 90° ! Mais s'agissant de qualité de gravure "y a pas photo" !

    2 - Passe encore pour les monarchies, abonnées au sempiternel profil royal, mais qu'on pense par exemple aux superbes pièces italiennes, inspirées de Raphaël, de Léonard, du Colisée, de Botticelli... n'en jetez plus, on en a pour son argent !

    3 - Descartes, Les Passions de l'âme, article 159.

    medium_MedailleDescartes.jpgSommaire du blog

  • Galerie inédite Marine Assoumov

    Galerie inédite Marine Assoumov : un beau cadeau de l'artiste

     par Mezetulle

    La série "rugby et peinture" se poursuit avec un très beau cadeau que vient de m'envoyer Marine Assoumov.

    A la suite de la publication sur La Choule d'un article sur sa peinture, nous sommes entrées en correspondance mél. Et voilà qu'arrive un très beau cadeau : ce sont des images inédites d'oeuvres sur le rugby que Marine m'autorise à publier sur La Choule, et que vous ne trouverez donc pas sur son site.

    Merci Marine !

    Mais la visite de son site vaut vraiment le coup, ainsi que celle de son site spécialement consacré au rugby. Marine exposera au Stade de France pendant la Coupe du monde. 

    Voici la galerie inédite "Marine Assoumov peintre du rugby spéciale La Choule"
    que je suis fière de vous présenter

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    Marine Assoumov : "Les jumeaux", encre et cire colorée

     

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    Marine Assoumov : "Le ballon dans la tête", collage

     

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    Marine Assoumov : "Le petit couvé", collage

     

     

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    Marine Assoumov : "Gueules cassées", collage

     

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    Marine Assoumov : "Petite mêlée", gouache

     

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    Marine Assoumov : "Travail au noir", lavis

     

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    Marine Assoumov : "Dansant bleu", encre et gouache

     

     

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     Marine Assoumov : "Le beau fruit mûr", collage

    Voir sur ce blog l'article "Corps à corps avec la peinture" consacré à l'artiste.

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