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La Choule - Page 27

  • Petits malins et gros balourds

    "Guerre des styles" ou pluralité des corps ? Petits malins et gros balourds

     par Mezetulle

    Ce titre est un emprunt au livre de Christian Pociello Le Rugby ou la guerre des styles (1983, éd. Métailié), l'une des études les plus intéressantes de socio-anthropologie sportive sur le rugby.

    L'axe du livre repose sur des couples antinomiques, qui se déclinent dans le registre des corps (léger / lourd, premières lignes / arrières), dans celui des styles (champagne-finesse-évitement / massif-conquête-percussion) et où se reflètent des enjeux sociaux et politiques (Nord / Midi ; Paris / province ;  manuels / intellectuels ; anglo-saxons / latins).medium_Evitement_AP_.jpg

    "Guerre" que l'auteur épouse, du côté des "tribus du Sud qui ont le culte de l'ovale" (p. 399) dans un plaidoyer final "pour Goliath", célébrant la revanche des "gros balourds" et de la "culture paysanne" sur les "petits malins" urbains...medium_MechantSale.jpg

     

     

     

    A cela s'ajoute une sourde mais bien présente "guerre des sexes" que l'auteur ranime sans faire d'état d'âme par le

    rappel que, dans une culture où les valeurs féminines poursuivent leur irrépressible ascension, le rugby reste le rare conservatoire des vertus viriles et le précieux musée d'un art populaire méconnu : la "force paysanne". (p. 400-401).

    J'ai bien conscience de me livrer ici à une excessive schématisation de ce livre qui conserve toute sa richesse, notamment parce que la thèse plus profonde, au-delà de la bipolarisation que je viens de caricaturer, est que le rugby est une sorte de théâtre sportif qui cristallise et en même temps conjure les forces antagoniques à l'oeuvre dans la société :medium_Percussion_AP_.jpg

    Il met en scène et héroïse des différences de classes tout en assurant leur intégration communautaire ; en bref, il contient tout le monde social et exprime tous ses effets de style.

    On peut se demander à présent si l'antinomie des "petits malins" et des "gros balourds" qui se solderait par une revanche de ceux-ci contre ceux-là est toujours vivace et aussi évidente. L'uniformisation des gabarits permet peut-être d'ébranler ou du moins d'interroger ce schéma. Celle des styles de jeu également : on voit de plus en plus les différences culturelles entre nations traditionnelles du rugby s'estomper au profit non pas d'une uniformisation monotone, mais de l'intégration de la variété des styles dans chaque tradition ... la professionnalisation aidant.medium_MarcoBortolamiSaut_AP_.jpg

    Il reste cependant que, plus que tout autre sport (le plus proche étant à cet égard le cyclisme), et  nonobstant le "canon" qui s'impose de plus en plus (1,90m et 100 kilos), le rugby continue à concerner toutes sortes de corps et de morphologies - et on a même le droit d'être moche !

    Mais cette variété, si elle conserve toujours la modalité antagonique, a-t-elle toujours pour enjeu masqué une revanche sociale, territoriale, sexuelle et politique ? Il me semble que le modèle esthétique et pluraliste de la danse contemporaine à laquelle j'ai fait allusion plusieurs fois dans ce blog -  danse qui engage tout le corps dans son rapport à la gravité, à l'adresse et à la maladresse, à ses moments glorieux autant qu'à ses moments piteux et qui s'adresse à tous les corps - peut être convoqué. Cela renvoie peut-être à un bougé qui s'est produit en 25 ans dans ce "théâtre sportif" et dans les forces qui s'y déploient, s'y affrontent et s'y apprivoisent.

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  • Art et rugby

    Art et rugby : un rugby ontologique ...

      par Mezetulle

    Un rugby sans ballon, sans équipement, sans match à gagner ou à perdre, sans entraîneur et sans sélectionneur (ouf!), sans vestiaires, sans terrain à conquérir, sans chronomètre, sans équipes adverses, sans arbitre, sans articles de presse qui vous éreintent (ou qui vous encensent  - mais n'est-ce pas au fond la même chose?), sans troisième mi-temps, un rugby dépsychologisé enfin : est-ce bien encore du rugby ?medium_Leve1.jpg

    Il suffit de considérer ces photos pour répondre : oui... notre rugby, on le reconnaît !

    C'est celui que compose (ou plutôt que réduit à son essence) l'artiste-photographe Edouard Levé : un rugby absolument libre, dégagé de toute anecdote, rendu à son pur moment gestuel, libéral. On y voit ce que l'on ne peut pas abolir : le geste, la posture, le sol, la gravité. Allez, je vais encore lâcher un gros mot : un rugby ontologique, "nature", comme on dit "une omelette nature"... sans rien d'autre que soi-même !

    N'ai-je pas raison de comparer de temps en temps le rugby et la danse ?medium_Leve3.jpg

    Et par dessus le marché, l'artiste ajoute à ce dépouillement le paradoxe de l'instantané, propre à la photo : l'essence d'un mouvement saisi en dehors du temps. Un mouvement revenu à soi, une pure figure.

    De temps en temps ça fait du bien de ne plus rêver qu'à la liberté.

    Et justement c'est le moment, après avoir gagné un grand Tournoi! 

    Voir la série de photos sur le site de la galerie Loevenbruck (40 rue de Seine, 2 rue de l'Echaudé - 75006 PARIS) l'expo a eu lieu en 2006.
    Photos réunies dans l'ouvrage Reconstitutions (Philéas Fogg, 2003). On lira également l'article sur le site paris-art.com et surtout un entretien accordé par E. Levé à la Société française de photographie, où il explique les principes de cette série "Rugby".

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  • Avantage : filles ?

     Avantage : filles ? Un dénuement salutaire

     par Mezetulle

     Dans mon dernier billet, j'évoquais la nécessité de contrarier le mouvement spontané, le consentement à se désemparer pour pouvoir construire force et adresse sur ce vide. Briser les obstacles que constitue un savoir en toc fait d'implicites : ainsi, apprendre c'est d'abord ré-apprendre en se débarrassant de ce qu'on ne sait que trop.

    Mais alors, paradoxe, c'est le rugby féminin qui semble avoir l'avantage, puisque les filles en la matière ne sont pas encombrées autant que les garçons de préalables, de mythes et d'a priori. C'est vrai sans doute pour d'autres sports, mais plus particulièrement au rugby, sport de tradition "virile" qui se transmet un peu tribalement par imprégnation, contiguité, et que les filles abordent dans une sorte de dénuement salutaire.medium_Feminin2.jpg

    C'est l'analyse (entre autres idées) que propose Joris Vincent dans son article "Le rugby féminin : un rugby à part entière ou un monde entièrement à part ?", publié dans un ouvrage collectif que j'ai déjà cité dans ce blog (1).

    Il parle à cet égard d'une"vacuité culturelle intéressante" :

    Marquées par leur statut féminin, les filles semblent moins influencées que les garçons par la culture rugbystique. En contact passif ou actif avec le milieu rugbystique, ces derniers accèdent à un niveau de connaissances plus ou moins empiriques les situant déjà comme des initiés bien avant d'avoir réellement joué au rugby. Le rapport d'une fille à la pratique est différent. Tant qu'elle n'a pas couru avec un ballon et affronté l'épreuve de la charge adverse, elle reste complètement novice sans a priori tactique ni technique. Loin de représenter un obstacle, cette vacuité culturelle devient une richesse. En effet, ce vide permet d'éviter l'étape de déconstruction culturelle du jeu nécessaire et incontournable dansla formation des joueurs. Les convictions masculines sur le jeu reposant sur des représentations ancestrales et fantasmées du jeu sont le plus souvent un facteur de résistance à la progression tactique et technique du joueur. Les joueuses ne présentent pas cette culture d'opposition sur la connaissance du jeu. Ainsi est-il plus facile d'accorder les représentations des joueuses et celle de l'entraîneur.

    Comme le disait Descartes, qui pensait que les femmes pouvaient et devaient faire de la philosophie :  "elles n'ont point l'esprit gâté par les études" !medium_Feminines.jpg

    Mais, ajoute J. Vincent, cette disponibilité serait aussi un obstacle... :

    Par contre ce niveau de connaissances constitue un obstacle à la formation. Les joueuses ne possédant pas forcément toute la logique culturelle du rugby (formes de jeu, culture du poste), il est nécessaire de reconstruire avec elles tout un langage rugbystique qui doit être le plus imagé et le plus significatif possible.

    Avantage de la vacuité, mais obstacle parce que presque tout est à construire et à expliciter... ? De quel côté est ici l'obstacle ? ... ne serait-ce pas plutôt du côté du mauvais entraîneur, qui prétend s'appuyer sur un savoir déjà-là et qui se dispense de construire ce qu'il enseigne, celui qui ne sait pas formuler, imager, schématiser, conceptualiser, inventer des expériences, et pousser à l'erreur pour pouvoir la corriger... celui qui se contente d'un "suivez-moi les gars!" ?

    (1) dans Rugby : un monde à part ? Enigmes et intrigues d'une culture atypique, sous la dir. de Olivier Chovaux et Williams Nuytens, Arras : Artois presses université, 2005, p. 151-174. Voir l'article "Epouse ou mamie".

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  • Mouvement contraire et totalité du corps

    Mouvement contraire et totalité du corps

    par Mezetulle

    Lorsque j'étais enfant, j'admirais le geste de ma mère en train de battre une omelette, considérant que cette alliance stupéfiante de rapidité, de précision, d'adresse et de force me serait à jamais inaccessible. Mais j'y suis arrivée. Pour cela, comme pour apprendre à coudre, à tenir un crayon, à sauter à la corde, j'ai dû apprendre à ne pas m'abandonner au premier mouvement de mon corps pour pouvoir le rendre disponible au mouvement vrai, fort, habile et rapide qui en révèle toute la puissance.

    Toute discipline, qu'elle soit corporelle ou intellectuelle, s'effectue grâce au mouvement contraire qui contraint pour libérer, qui fait le vide pour rendre possible l'appropriation. Et donc on peut dire cela, a fortiori, de tout sport de haut niveau. Mais aucun ne le fait de manière aussi visible, éclatante que le rugby, car aucun n'affiche aussi insolemment que la contrariété est partout, à tout moment, à son principe.medium_PassePatSandersonEmpics.jpg

    Reculer pour avancer, mains en arrière sur le côté et pieds en avant tout droit sculptant cette magnifique torsion du corps qui s'empare des joueurs à la passe. Proximité et éloignement de la balle, qui circule dans le jeu et s'immobilise dans le regroupement. Rapidité de la percée vers l'essai et patience de la poussée collective qui grignote du terrain. Mains qui serrent la balle au plus près du corps et qui s'en dessaisissent aussitôt qu'on est au sol. Force totale de la percussion et adresse totale de l'évitement.

    Même la feinte, si technique au foot, s'inscrit dans la totalité corps et prescrit la totalité au corps: un corps totalement allant, totalement pesant, totalement aérien, totalement campé, totalement mobile, totalement vaillant, totalement recueilli et retenu.

    En cela bien sûr le rugby est exemplaire de l'éducation, qui libère sous la condition de la contrainte. Mais au-delà d'un simple exemple, il est ce que les philosophes appelleraient un schème (n'ayons pas peur des gros mots !). Un schème inscrit l'idée dans la matière à la manière d'une règle : c'est comme un principe matérialisé.medium_BrumachonIcare.jpg

    Au rugby, la contrariété et la liberté qui en résulte, le vide et l'appropriation qu'il rend possible ne sont pas simplement travaillés dans un geste, dans une technique particulière, mais concernent toujours le corps tout entier, individuel et collectif, pris dans sa totalité et dans toutes ses propriétés (gravité, rapidité, adresse, extension, immobilité, consistance, fluidité, ténacité, versatilité...).medium_JobinThe_MoebiusStrip.jpg

    Ici comme dans la danse, il y en a pour tous les corps, pour toutes les vertus du corps et pour le corps tout entier.

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  • France-Ecosse ou les matches en tiroir

    France-Ecosse ou les matches en tiroir. Hymne à Saturne

    par Mezetulle

    Passionnant, le décompte qui anime (s'il en était besoin) les dernières minutes de la rencontre France-Ecosse cet après-midi : car d'autres matches sont présents dans ce match, le résultat Italie-Irlande qui vient de se jouer fournissant l'arithmétique qui pathétise les deux essais marqués à la fin du match France-Ecosse : et c'est alors le match qui va se jouer entre Galles et Angleterre qui tient la clé.

    D'abord trois petits points d'écart creusés in extremis par les Ecossais , puis remontés in cauda de l'in extremis (en bon français : au tout tout tout dernier moment) par les Français, et l'enjeu du Tournoi bascule pour se tourner vers le résultat du match Angleterre-Galles qui va commencer juste après...

    Bon , je vous accorde que l'objectif était presque inaccessible pour les Anglais qui auraient dû remporter cette rencontre avec au moins 57 points... mais est-il rien d'impossible ?

     Admirable et insoutenable jeu de la chronologie géniale et diabolique de toute une après midi où se succèdent  Italie-Irlande, France-Ecosse et Angleterre-Galles. Présence poignante du passé et du futur dans quatre minutes du présent...medium_SaturneCourteysEcouen.jpg

    Saturne, dieu du temps, tu dévores tes enfants : mais cette dévoration ne les engloutit pas, elle les fait exister !

    Pour programmer une telle succession en une seule après-midi finale, il faut être sûr d'avoir affaire à de grandes équipes capables de retourner en dernière journée l'enjeu du tournoi, précisément parce qu'elles n'ont pas pu se départager avant ce dernier moment.medium_MainsMelees.jpg

    Et pour suspendre l'issue d'un tournoi, la faire virer et revirer en quatre minutes finales entamées par un essai écossais sur passe sautée "au large" et  terminées par un essai français poussé puis aplati à la force collective, adoubé par l'arbitrage vidéo avant d''être transformé en cerise sur le gâteau (si j'avais inventé cette série, on m'accuserait d'invraisemblance), il faut effectivement être de grandes équipes. En quatre minutes, la totale !

     Du coup, je suis presque contente d'avoir été mécontente de la défaite du XV de France la semaine dernière... !

    Quel bel objet sportif et intellectuel que ce Tournoi des 6 nations ! Et quel bel exemple "moral" d'équipes qui ne "s'arrangent" de rien, sauf du temps, des forces.. et de la victoire... medium_Betsen17mars_Reuters_.3.jpg

    Ne boudons pas celle-ci, même si elle est "à l'arraché"

    medium_Celebration.jpg Sommaire du blog