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La Choule - Page 30

  • Un "sport roi" : à Robert D.

    medium_SmileyRugby.jpgUn "sport roi" : à Robert Damien

    par Mezetulle

    Je fais ce blog en pensant à toi, Robert, rude "intello" (ce que je m'efforce d'être aussi), et joueur-entraîneur de rugby (ce que je ne suis pas). Nous avons les mêmes goûts forts, du livre, de la bibliothèque, de la pensée. Et quand tu parles du rugby, tu sais vraiment de quoi tu parles. Moi je parle en spectatrice, en amateur, je ne le vis pas de l'intérieur, mais je l'aime...

    Je t'emprunte parfois une idée en écrivant mes notes - notamment celle de la contrariété qui traverse le corps du joueur, celle de la nécessité du contact des corps.

    Les lecteurs pourront se faire une petite idée en lisant cet extrait de l'article que tu as bien voulu publier sur mon autre blog - où tu parles du rugby comme d'un "sport roi" :

    "Pourquoi royal ? parce qu'il contient tous les jeux et requiert l'alliance des contraires, impose l'union des extrêmes. Partant ce qui plaît dans ce jeu et fait sa rareté, c'est sa contradiction dans les termes, le multiple en un qui le rend insaisissable et saisissant, une chimère dialectique: tout le jeu consiste à la poursuivre dans la liberté des règles en exprimant ensemble et en même temps des dimensions partout ailleurs hétérogènes et séparées.

    Sans en dire plus, je demeure sidéré par ce qui est exigé d'un joueur de rugby: d'être à la fois courageux et inventif, élégant et combatif, percutant et dynamique, intelligent et engagé, généreux et contrôlé, lucide et ludique, ardent et vigilant, vaillant et respectueux, explosif et concentré... Des réquisitions antagoniques pour une métamorphose exaltante qu'un certain philosophe appelait la joie! Qui ne l'a pas connue ne sait pas ce qu'est le bonheur... "

    Extrait de l'article de Robert Damien "Deux ou trois choses que je sais à propos du rugby", publié sur Mezetulle

    Sommaire du blog La Choule

  • Sport "de contact" (3) Les corps

    Sport "de contact" (3) : les corps 

    J'en viens enfin, dans cette troisième note sur le contact, au corps-à-corps.

    Le contact avec le corps de l'adversaire.
    Il est admis, et même requis dans les regroupements (maul, mêlée), les plaquages, les "percussions". Il s'effectue selon des lignes de force et de mouvement variées : pousser, tirer à soi, recevoir l'élan adverse en même temps qu'on le percute.medium_PlaquageEvitement.jpg

    Cette admissibilité et cette obligation de contact est singulière dans un sport de balle et d'équipe - aucun des autres ne le pratique comme admissible et encore moins comme requis.

    Cela affecte bien entendu la notion d'évitement, de crochet, de zig-zag, de faufilement. Au rugby, l'évitement n'a pas pour objet l'interdiction de toucher l'adversaire, mais il est au contraire nourri de la possibilité de le faire. On n'évite pas l'autre parce que c'est interdit, on le fait parce que c'est un choix de jeu, parce que c'est l'occasion d'un leurre. L'évitement et le contact sont symétriques et non opposés.

    Le contact avec le corps du partenaire : enlacement scapulaire des premières lignes et imbrications épaules-fesse, bras-cuisses pour former la mêlée, poussée verticale pour la prise de balle à la touche, empilement des corps pour "soutenir" l'homme à terre qui va lâcher la balle.medium_Melee.2.jpg

    Tous ces contacts, d'apparence sauvage, sont en réalité disciplinés, parce que permis. Le rugby, contrairement aux apparences, fait dans la nuance, mais oui ! Il sait faire autre chose que le "tout interdit" et le "tout permis" (après match, et encore : quand ça se passe bien...) qui caractérisent un autre sport de balle en équipe dont on a compris que je ne l'aime pas. Nuance du permis-mais-pas-tout, canalisation, exercice et reconnaissance de la force, fabrique de jeux de mains mais pas de vilains.

    Contacts pensés parce que avoués et non forclos, visibles et non relégués dans un infra-monde d'où ils ne peuvent que surgir que comme d'un enfer. Il n'y a pas d'enfer au rugby parce que les forces infernales sont présentes : humanisées ici et maintenant.

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  • Sport "de contact" (2) La terre et la gravité

    Sport "de contact" (2) : la terre et la gravité 


    Qu'est-ce qu'un terrain dans un jeu de balle ? Au pire, une surface qui se fait oublier, sauf quand elle n'est pas bien entretenue. Une planéité d'accueil sur laquelle les joueurs évoluent et où la balle roule, avec des effets et des rebonds comme si elle était une particule élémentaire calculable - ainsi du parquet luisant ou de la surface synthétique où les baskets crissent et de la pelouse impeccable où s'agrippent les crampons du foot. Billard, effets, calculs, courses et arrêtés "au quart de tour". Au mieux c'est un miroir mécanique, principe des ressorts d'un rebond au principe du jeu, mais en droit prévisible - et dont la vitesse est variable : gazon, terre battue et plastique du tennis. Quel ennui, ce sol qui porte si mal son nom de terrain, lequel vient de "terre" !

    medium_Boue.jpgLe terrain du rugby garde les épices de la terre, sa sécheresse, son humidité, sa dureté, sa mollesse, sa viscosité, et cette réjouissante boue qui allonge les aplatis, fait déraper le crampon virant, déchausse le lourd pilier dans sa poussée, fait hoqueter l'en-avant, poisse la balle, macule le maillot d'une glorieuse salissure...

    On ne se contente pas d'y évoluer comme des anges qu'on n'est pas.medium_chute.jpg

    On ne s'y vautre pas complaisamment pour simuler quelque douleur imaginaire mais pénalisante pour l'adversaire : on y tombe lourdement et nécessairement, constitutivement, parce que le jeu le veut. Parce qu'on est soi-même un corps grave, parce qu'on est plaqué ou qu'on plaque, parce que la mêlée s'effondre, parce qu'on aplatit l'essai.

    La trilogie corps du joueur - balle - terre se conjugue, deux à deux, trois à trois, dans l'espace et dans le temps : contact nécesaire de la balle et du sol avant le coup de pied, rebond du drop, lâcher prise du joueur à terre.
    medium_Essai.2.jpg

     

    Elle atteint son apothéose et son cas spécial au moment de l'essai, validation du triple contact unissant joueur+balle+sol.

     

    Enfin le sol n'est pas un simple lieu, un site ou un moyen : c'est un véritable partenaire où il faut prendre ses appuis, eux aussi variés, lourds ou aériens, pour sauter ou pour s'affaler, pour virer, pour se retourner sur le côté comme un demi-scarabée, pour s'immobiliser, pour s'élancer, pour faire ployer les nuques adverses.

    La gravité ne s'oppose pas au jeu, elle le constitue : le rugby fonctionne comme la danse qui s'autorise de la gravité. Footballeur, basketteur, joueur de tennis peuvent se retrouver à terre, ridiculement. Seuls les danseurs et les joueurs de rugby s'y trouvent, ordinairement mais aussi glorieusement. 

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  • Sport "de contact" (1) : la balle, le joueur, la main

    Sport "de contact" (1) : la balle, le joueur, la main

    Ah, ce fameux "contact" ! comparaison toujours implicite et agaçante avec le foot... Mais alors que le foot pratique un "contact" brutal, méchant, sournois et transgressif (car en principe interdit) entre les joueurs se disputant la balle (je passe sous silence les papouilles et étreintes dès qu'un but est marqué : le spectacle en est tout aussi infantile), le rugby est une véritable culture du contact : il l'affiche, le permet, le civilise.

    Bien sûr quand on entend "contact" on pense aussitôt au contact entre les joueurs, mais le côté qui m’intéresse le plus n’est pas cet aspect choc "viril" (coment dit-on déjà ? ah oui, la "percussion"), c’est plutôt le contact du joueur avec la balle et aussi avec le sol, la terre. Aujourd'hui , je m'en tiendrai à la balle, ce machin ovale et semble-t-il parfois visqueux (voir l'article sur La Choule). Je parlerai également dans un autre billet de cette forme ovale.

    Au foot, on dit que la balle circule. Quelle pauvreté ! Au rugby, la balle ne fait pas que circuler : on la serre contre soi comme un objet chéri, cette "balle en forme d’Enfant Jésus" comme le dit Jean Lacouture(*).

    medium_Coquetier2.jpg

    On la pose délicatement comme si c’était un œuf avant de la taper en l'entourant de mini-maçonneries éphémères (petits talus en sable, en gazon - est-ce que la farine est autorisée ?) ou en recourant à cet accessoire en plastique qui ressemble vraiment à un coquetier.

    On est obligé de s’en dessaisir le plus ostensiblement possible quand on est à terre.

     On l’écrase avec son corps pour marquer l’essai - on l'"aplatit", comme si elle n'était déjà pas assez plate comme ça, mais cet aplatissement est aussi une signature…

    On la suit des yeux quand elle s'envole entre les poteaux ou en chandelle.

    On l'attend au rebond difficile à prévoir. On la cueille, bras mains et poitrine en cuillère dans l'arrêt de volée. On s'escrime en se poussant autour d'elle comme des bêtes en la dissimulant et dès qu'elle est sur le point de "sortir", on détricote les jambes pour bien montrer qu'elle est encore là ....medium_BalleRegroupement.3.jpg

     ....à dix centimètres des doigts avides du demi de mêlée : bientôt elle va passer des talons aux mains, dans une trajectoire dialectique comme celle des bateaux à voile : en arrière et sur le côté pour avancer...

     

    La balle, c’est à la fois ce qu’il y a de plus près et de plus loin, de plus fragile et de plus dur, de plus terrestre et de plus aérien, de plus rapide et de plus immobile, de plus caché et de plus visible. Son statut est multiple.

    medium_PresLoin2.3.jpg

     La balle n’est pas non plus un simple projectile qu'on envoie quelque part, ni un mobile que l’on manœuvre comme s’il était télécommandé. D'ailleurs un jeu de bistrot "baby rugby" sur le modèle du "baby foot", avec des leviers, des tubes coulissants et des percussions fixes, est impensable. Pas moyen de mécaniser ce machin-là, et les choses non mécanisables il faut les faire soi-même "à la main". C’est ainsi que je vois la main du rugbyman : la main n’est pas simplement un organe, mais surtout un schème. Ce jeu est de ceux qu’il faut jouer "à la main" comme quand je fais un calcul "à la main".

    Il ne suffit pas de dire qu'on joue au rugby avec les mains : c’est vraiment du "fait main".

    medium_LaMain.jpg

     (*) Jean Lacouture, Voyous et Gentlemen. Une histoire du rugby, Paris : Gallimard, 1973.

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  • Sport "de pénalité" ?

    Sport "de pénalité" ? Le rugby n'est pas bêtement idéaliste

    par Mezetulle

    On parle du rugby comme d'un "sport de pénalité" : ceux qui ne l'aiment pas utilisent cela pour dire que l'action est constamment interrompue, qu'il faut être un expert dans la connaissance du règlement pour suivre une rencontre, que c'est compliqué, que le jeu avance avec des fautes, etc. medium_Sifflet.jpgComme si une rencontre sportive devait se dérouler "sans accroc" dans un monde idéalisé, ripoliné. Comme si "la faute" devait toujours être à l'extérieur, et comme si "le jeu" devait toujours être quelque chose de parfait et de limpide. Cette objection est proprement infantile, ou plutôt elle révèle une conception infantile du sport : terrain aplani où les choses devraient se passer conformément à nos désirs...

    Non, le rugby ne fonctionne pas ainsi. C'est un jeu qui s'empare du réel, et qui, loin de s'évader du réel, le maîtrise. C'est un jeu qui a inclus la dimension de la complexité et de la faille, et qui, au lieu de s'en effaroucher, en fait quelque chose. 

    Comprendre quelle faute a été commise est en effet fondamental pour suivre le jeu. Non que les pénalités ne soient importantes dans d’autres jeux de balle, mais ici il y a une dimension constitutive, intérieure, de la faute. Il y a des fautes qui construisent le jeu : toute faute n’est pas nécessairement contraire au jeu. Ce n’est donc pas tout à fait juste de parler de "sport de pénalité". La sanction n’est pas toujours une punition, on peut la jouer : une mêlée qui sanctionne une faute non seulement est une phase du jeu, mais elle peut parfaitement être recherchée par l’équipe qui commet la faute. L’exemple le plus significatif est la touche : sortir des limites du terrain n’est pas une faute à proprement parler, c’est une façon de faire progresser la conquête du terrain ou de se sortir d’une situation délicate : "trouver une touche". Il y a donc deux niveaux de faute : la faute qui construit le jeu, qui entre dans sa progression et sa continuité et la faute pénalisante qui nie le jeu.

    La dimension constitutive de la faute me fait dire que c’est un sport critique, qui fonctionne à cet égard comme la pensée pour laquelle l’erreur n’est jamais quelque chose d’extérieur. Voilà pourquoi le rugby ne se joue pas dans un monde utopique où il y aurait la norme et le hors-norme séparés, bien au contraire la norme s’y nourrit de sa propre transgression, comme dans la vie. Le rugby n’est pas idéaliste. Ça fait du bien ! 

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