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Arbitrage et les règles - Page 2

  • Des buts ou des points ?

    Des buts ou des points ? finesse du score

    Après quelques égarements hystéro-bougons, je reviens à une sérénité théorique.
    Oui, contrairement à l'apparence spontanée, brutale, immédiate, le rugby est un sport qui connaît les nuances, que dis-je : il est fondé sur la nuance, sur des déclinaisons de gammes continues, et non sur des hiatus discontinus. Bref, tout en finesse.

    Et pour commencer, un peu d'arithmétique, puisque toute rencontre sportive se traduit rationnellement par un décompte : ici le score.
    medium_but.2.jpg De quoi est fait un score au rugby ? De points, et non de buts. La distinction importe. Ce score composé de points n'est pas "gros". L'unité élémentaire qui le constitue (le point) a valeur alphabétique ou atomique : elle ne correspond en effet à aucun acte isolable sur le terrain, c'est un abstrait. On ne marque pas "un" point en faisant ceci ou cela, aucune action ne correspond à un point - on ne peut marquer un point que par une différence. On ne marque que des ensembles de points, un peu comme on écrit les mots avec des lettres de l'alphabet, lesquelles n'ont aucun sens de manière isolée. Les linguistes diraient qu'elles n'ont pas de pertinence en elles-mêmes (sauf cas rares, par ex "i" en latin impératif du verbe "eo").
    J'ose à peine rappeler le b-a ba : 5 pour un essai, 2 pour une transfo, 3 pour une pénalité, 3 pour un drop... C'est bien ça non ? (pour vérifier, voir sur le site le carnet de l'entraîneur).
    En revanche, la pertinence de l'unité se trouve dans le décompte, en tant que différence avec un autre décompte : on peut être devancé d'un point. Et ça fait une différence !

    Autrement dit : le score du rugby s'exprime en une langue évoluée, articulée en micro-éléments abstraits qui ne prennent leur valeur que dans la série et les différences entre séries. Et non une langue grossière, où chaque point correspond réellement à un acte de jeu isolable (le "but", vous voyez de quoi je parle ?) : dans ce dernier cas, on n'est même pas du niveau d'un syllabaire, on est dans un système de signaux, une pictographie où chaque signe correspond à une chose. Quelle pauvreté !

    L'une des conséquences de cette finesse du score articulé rejoint une idée que j'ai abordée dans un autre billet : le score est rarement fatal. medium_AndyGoodeKickEmpics.2.jpgCe qui est mortel, humiliant, n'est pas d'encaisser un but où tout se joue, mais une série de points, ce qui suppose la continuité entre plusieurs phases de jeu. Et si l'arbitrage n'est pas complètement aberrant ou partisan, la différence au score reste rationnelle, proportionnelle aux forces et aux habiletés en présence durant la rencontre.

    Une autre conséquence est la notion de choix tactique : tenter une pénalité plutôt que la jouer à la main ou choisir la pénaltouche, c'est essayer de maîtriser dans un calcul l'état du score, le moment du match, le temps qu'il reste, les éléments naturels (distance, vent)... rendre la contingence maniable.

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  • Italie-Galles : la pénaltouche et l'échéance

    Italie-Galles : la pénaltouche et l'échéance mortelle

    "Il y a pénaltouche lorsque l'équipe pour qui a été sifflée la pénalité décide de taper en touche au lieu de la tenter. Dans ce cas, c'est cette même équipe qui effectuera la remise en jeu." (1)


    Cet après-midi, superbe exemple et bel objet de controverse à la fin du match Italie-Galles remporté par l'Italie 23 à 20.
    A la 80e minute, en face des buts italiens, les Gallois bénéficient d'une pénalité. Mais gardons à l'esprit qu'on est à la 80e minute, et que la fin du match est imminente.medium_chrono.jpg
    Vont-ils la tenter ? Si oui, ça ne fait jamais qu'une égalisation : pas terrible....  Alors - calcul - ils choisissent de jouer la touche : si celle-ci se déroule comme ils l'espèrent, ils ont une chance d'aller à l'essai et donc de remporter le match par 25-23 et même peut-être par 27-23 si l'essai est transformé.

    La touche est trouvée à quelques mètres de la ligne de but italienne. Et c'est à ce moment-là que l'arbitre siffle la fin du match. Certains commentateurs n'hésitent pas à parler d'une "faute d'arbitrage".

    Toujours est-il que voilà un beau sujet pour les philosophes : la question du temps, de la séquence et de l'échéance.

    Est-ce la même chose d'une part de "laisser jouer" la séquence "tir de pénalité" (ou dans d'autres circonstances la séquence "essai marqué-tentative de transformation") alors qu'on est sur la limite de temps, et d'autre part de "laisser jouer" une touche ?  Il me semble que la question qui décide est : "jusqu'à quand ?"

    Dans le premier cas c'est très clair et définissable a priori : jusqu'à ce que la balle quitte le pied du buteur et termine sa trajectoire. La séquence est une séquence finie, de même que la séquence "essai-transfo". Mais dans le second ?  La touche et ce qui la suit ne sont pas une séquence finie... et l'arbitre aurait aussi bien pu siffler la fin du match lors de la prise de balle, ou un dixième de seconde après celle-ci lorsque le joueur retombe au sol, ou même un un dixième de seconde avant un essai toujours potentiel... ? 

    L'imminence de l'échéance, c'est toujours pathétique. Y compris pour les échéances qu'on joue, pour les petites échéances, parce qu'elles sont une allusion à la fois dérisoire et sublime à la grande échéance, à la seule qui compte et qui donne leur sel à toutes les autres sans lesquelles on ne ferait jamais rien, on ne tenterait jamais rien.

    (1) Mathieu Lasselin : Le rugby en quelques mots français-anglais Maitrise LEA - 2002 / 2003 - Université Sorbonne nouvelle - Paris III Responsable : Loïc Depecker 

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  • Pas de dieu (1) : l'ovale et la contingence

    Il n'y a pas de dieu (1) : l'ovale (le "pas-rond") et la contingnence sont suffisants

    par Mezetulle

    On a dit tant de choses sur la forme ovale - c'est-à-dire et d'abord "pas ronde" - de la balle, que j'hésite presque à y aller de mon petit couplet. Ce machin est très évidemment biscornu, au sens strict et au sens figuré. medium_OldBall.jpgOn est aux antipodes d'un jeu de billard, à tenter de saisir le rebond de cette cote mal taillée, de cette perle baroque, là où on ne s'attend pas à ce qu'il soit. Plus le vent. La prévision est toujours en haleine, toujours poignante, souvent désavouée... les choses ne sont pas toujours malléables.

    Maintenant je vais lâcher les gros mots philosophiques - pourquoi non? après tout, on est entre gros calibres ! ce jeu n'a rien à voir avec le hasard et tout avec la contingence.

    Le hasard, la "Fortuna" des Anciens avec ses yeux bandés, c'est un dieu, un arrière-monde qui se joue de nous, qui décide pour nous, que nous défions, que nous supplions dans des prières païennes.

    La contingence, c'est ici et maintenant, avec les yeux ouverts : c'est l'imprévisibilité des choses, la force et la présence des choses qui sont ce qu'elles sont, et qui auraient pu être tout autres qu'elles ne sont. Mais pas besoin de leur attribuer une volonté, elles sont assez déroutantes comme ça... Et ici ça se voit, ça vous crève les yeux : c'est signé rien que par la forme de la balle, non pas ovale mais "pas-ronde", comme les choses de la vie.

    Un jeu qui montre et qui accepte autant la contingence n'a pas besoin du dieu hasard. Pour la même raison il n'a pas besoin de fatalité. Tout est là sous nos yeux, aucun "deus ex machina" ne vient tirer les ficelles, aucun dieu extérieur n'est à la source de l'heur et du malheur : les choses sont déjà assez compliquées comme ça, et on fait déjà assez de c... comme ça pour n'avoir pas besoin de recourir à un arrière-monde et pour devoir lui rendre un culte. Il faut saisir les circonstances, on le peut, on le doit, on le réussit, on le rate ; la vie est à la fois compliquée et rationnelle.

    Voilà pourquoi je crois aussi qu'on n'assiste pas à un match de rugby comme à un sacrement. Pas de fanatisation, parce que nulle fatalité : seuls les éléments et les forces en présence, dans leur variété, dans leur complexité, sont suffisants pour expliquer l'état des choses, la victoire ou la défaite - et non quelque force invisible qui fait par sa grâce ou sa disgrâce entrer une balle (ronde) dans une cage ou qui la projette sur un poteau - non ici, il y avait du vent, ça a glissé, le rebond n'était pas de ce côté, on n'a pas été bons, "ils" ont été plus forts ou plus intelligents, ou plus opportunistes. Le tout est d'être là au bon moment et de faire le bon geste. Le tout, et il en reste toujours.

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  • Plaies et bosses. Un corps glorieux et fragile

    Plaies et bosses. Arès et Aphrodite : un corps glorieux et fragile


    Mis à rude épreuve par tous les "contacts" dont j'ai parlé précédemment - d'ailleurs je m'interroge toujours, ayant les cervicales délicates, sur le moment d'impact accompagné d'un "han!" qui signe la rencontre des deux lignes avant en mêlée... comment se passe l'intrication des nuques? - le corps du joueur est promu au niveau d'un corps glorieux par les marques de souffrance qu'il porte pendant et après le match.
    medium_GenouBalafre.2.jpg
    Gloire tirée des contusions, des bleus, des salissures, des brûlures provoquées par les glissades au sol, des oreilles frictionnées, des pieds déchaussées et tournés, des crampes sautillantes. Et l'accoutrement qui va avec, bricolage opportuniste de ruban adhésif de plombier en bandeaux qui auréole le crâne des piliers, doigts enserrrés et baguettés par du chatterton, scotch magic sur les arcades sourcilières, lacets prenant des allures de bande velpeau tant ils font de tours et de tours. Sans parler de la graisse, immémorial truc qui huile la peau des athlètes depuis deux mille ans... Un bain de boue par dessus le marché, finalement, on comprend que ça ne fait pas de mal.

    Joueurs de rugby, vous avez bien des choses à partager avec les danseurs dont le corps, très exposé, connaît la peau chauffée et durcie par le contact avec le sol, - en un sens plus rudes que vous, car souvent offerts au choc et aux frottements dans une nudité que vous réservez, chochottes, à vos vestiaires et à vos calendriers !!! Même s'ils sont épargnés par les traumatismes guerriers qui vous envoient à l'hosto, avec leur cortège de fractures, luxations et K.-O, ils connaissent aussi la périostite, les hernies, ruptures de ligaments et autres aponévroses. Comme les montagnards-randonneurs, dont je suis, qui excellent à détourner le moindre morceau de grip de tennis, vous savez aussi toutes les ressources du sparadrap, de la "deuxième peau" et de l'akiléine anti-frottement.

    Mais deux limites.

    L'une d'équipement. 
    Certes quelques rembourrages sous le maillot et caleçons-maintien sous la culotte, le protège-tibia et le protège-dents d'usage. N'oublions pas le "casque", alignement comique de dominos en plastique mou qui vous fait une tête de batracien suffocant, hideuse et sublime, soulignant le promontoire nasal, abaissant d'un cran le verrouillage frontal presque au niveau d'un néanderthalien : quel beau moment lorsque vous l'ôtez pour retrouver votre vrai visage de sapiens.. ! Magne, Betsen, Pelous : vous êtes vraiment les plus beaux à ce moment là ! Mais rien qui ressemble à une carapace, encore moins à une armure, offensantes pour l'adversaire.. et déformantes pour l'oeil du public. Rien que du défensif soft.medium_Casque.2.jpg

    L'autre, plus qu'hygiénique : symbolique. Pas de sang. 
    Rassure-toi lecteur, je ne vais pas me lancer dans une dissertation d'anthropologie savante sur ce sujet. Juste un petit rappel qui m'évitera de très longs commentaires. A la moindre égratignure, le dieu grec de la guerre Arès tournait de l'oeil, avouant ainsi sa gémellité avec sa soeur Aphrodite, au cou si blanc !

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  • Sport "de contact" (3) Les corps

    Sport "de contact" (3) : les corps 

    J'en viens enfin, dans cette troisième note sur le contact, au corps-à-corps.

    Le contact avec le corps de l'adversaire.
    Il est admis, et même requis dans les regroupements (maul, mêlée), les plaquages, les "percussions". Il s'effectue selon des lignes de force et de mouvement variées : pousser, tirer à soi, recevoir l'élan adverse en même temps qu'on le percute.medium_PlaquageEvitement.jpg

    Cette admissibilité et cette obligation de contact est singulière dans un sport de balle et d'équipe - aucun des autres ne le pratique comme admissible et encore moins comme requis.

    Cela affecte bien entendu la notion d'évitement, de crochet, de zig-zag, de faufilement. Au rugby, l'évitement n'a pas pour objet l'interdiction de toucher l'adversaire, mais il est au contraire nourri de la possibilité de le faire. On n'évite pas l'autre parce que c'est interdit, on le fait parce que c'est un choix de jeu, parce que c'est l'occasion d'un leurre. L'évitement et le contact sont symétriques et non opposés.

    Le contact avec le corps du partenaire : enlacement scapulaire des premières lignes et imbrications épaules-fesse, bras-cuisses pour former la mêlée, poussée verticale pour la prise de balle à la touche, empilement des corps pour "soutenir" l'homme à terre qui va lâcher la balle.medium_Melee.2.jpg

    Tous ces contacts, d'apparence sauvage, sont en réalité disciplinés, parce que permis. Le rugby, contrairement aux apparences, fait dans la nuance, mais oui ! Il sait faire autre chose que le "tout interdit" et le "tout permis" (après match, et encore : quand ça se passe bien...) qui caractérisent un autre sport de balle en équipe dont on a compris que je ne l'aime pas. Nuance du permis-mais-pas-tout, canalisation, exercice et reconnaissance de la force, fabrique de jeux de mains mais pas de vilains.

    Contacts pensés parce que avoués et non forclos, visibles et non relégués dans un infra-monde d'où ils ne peuvent que surgir que comme d'un enfer. Il n'y a pas d'enfer au rugby parce que les forces infernales sont présentes : humanisées ici et maintenant.

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