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La Choule - Page 11

  • Réflexion sur la certitude et la sûreté

    Réflexion sur la certitude et la sûreté (France-Ecosse 3 février 08)

     par Mezetulle

    Pour un coup d'essai, ce fut un coup de maître, ce premier match du nouveau XV de France à Murrayfield remporté largement 27 à 6 ! Une rencontre ouverte, alerte, du jeu, beaucoup de jeu. Et surtout, au-delà et même avec quelques fautes, de l'allant, de la confiance, de la cohésion. Aucune crispation, à peine un peu de fébrilité... juste un peu chez les "vieux" bien entendu, qui ont sans doute des souvenirs cuisants de stress, mais on pardonne à Elissalde ces deux pénalités manquées. On aurait dit qu'ils jouaient ensemble depuis plusieurs mois...

    Ce qui me semble le plus caractéristique de cette entrée remarquable sur le terrain de la certitude est le comportement de la mêlée bleue. A la fois étonnant et rassurant : plus que bousculée tout d'abord, jusqu'à perdre un ballon sur introduction française, elle s'instruit elle-même de ses faiblesses, de ses dérapages, de ses erreurs et parvient à inverser la tendance en devenant puissante, dominatrice, sûre d'elle-même. Même si le "coaching" y est pour beaucoup, l'effet est tout de même présent : les néobulls, relevés par les paléobulls, ne peuvent, ne doivent que faire mieux.

    medium_Taureau.jpgOn dit que le toro de corrida apprend tout en vingt minutes, il devient alors presque humain, pervers, retors, hésitant, et retarde ses actions : ayant perdu la sûreté de la bête, il est exécuté.

    Les néo- et paléobulls de la mêlée bleue apprennent tout d'eux-mêmes et des autres en une moitié demedium_Melee.3.jpg mi-temps (si je calcule bien, ça fait aussi vingt minutes). Mais c'est, tout au contraire, pour chasser l'angoisse sans tout à fait l'abolir, prendre conscience de leur puissance et, toute fragilité surmontée, en relevant de leurs erreurs comme on revient immunisé d'une maladie, pour conquérir la sûreté d'une presque-bête dans sa variante hautement humaine, qui s'appelle la certitude. Aussi on leur souhaite longue vie, comme à la balle qu'ils font vivre. 

    P.S. J'avais bien dit que, entre le cognac et le whisky, mon choix était fait ! Sauf que, partant pour Londres demain pour 3 jours, je ne pourrai que savourer ce bon début de Tournoi dignement dans un pub.

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  • Une petite fille dans un monde de brutes?

    Une petite fille dans un monde de brutes ? Auch-Toulouse, 25 janvier (3-34)

    Sous la lumière crue des projecteurs, une petite fille hors d'haleine traverse dans sa longueur un terrain où s'affrontent des grands garçons autour d'un ballon.... Apeurée ? Esseulée et abandonnée par des parents indignes sur une pelouse de brutes où elle n'a que faire - et en nocturne en plus? Mais non, vous n'y êtes pas : on est à Auch, sur un terrain de rugby, ne vous faites pas de mauvais sang.

    medium_SupportersViolents.jpg C'est la fin du match, les supporters (de Toulouse ? d'Auch ? ah voilà bien encore une question de f.. ooteux...) envahissent le terrain. De plus le match n'est pas vraiment fini, l'aire sacrée hors temps et hors espace vient d'être violée par des enthousiastes peu regardants sur les règles. Ce devrait être le moment de tous les dangers, d'autant plus que l'équipe qui reçoit subit une large défaite. medium_Sablier.2.jpg

    Sauf que c'est du rugby, et que c'est comme au théâtre, comme au concert, comme à l'opéra : il y a un temps formel et un temps objectif et parfois ça s'emmêle un peu les pinceaux en un moment qui, redoutable en principe, est ici délicieux. Le temps formel, celui des chronos, est épuisé : la sirène a annoncé la fin des 80 minutes. Toulouse a largement gagné de toute façon. Mais le temps objectif, celui de l'action, est en cours : l'arbitre n'a plus d'yeux que pour devenir spectateur, pour subir à son tour la loi du jeu, de ce qui se passe vraiment. Car l'action en marche, comme toujours, est grosse d'un essai, elle n'est pas finie et elle est désormais seule maîtresse du temps (1).

    Et voilà-t-il pas justement que l'essai d'après-dernière minute est marqué par les visiteurs. La messe est archi-dite, non ? Comme les auditeurs enthousiastes d'un concert qui n'attendent pas le silence après la dernière note pour applaudir, une partie du public envahit le terrain. Notons bien que c'est pour applaudir les visiteurs victorieux et les vaincus qui se sont si bien défendus, et les petites filles ne sont pas les dernières dans cet exercice chaleureux. Mais attendez, tout de même, il y a la transformation ; même ultra-facile, elle pourrait être manquée.

    Le moyen de virer les supporters indiscrets d'un terrain de jeu de balle collectif ? Appeler la police ? Mais non, vous n'y êtes pas, on est à Auch, sur un terrain de rugby, et il y a des petites filles qui sautillent sur la pelouse, c'est normal. Il n'y a qu'à leur dire : attendez, ce n'est pas fini, il y a la transfo, poussez-vous un peu. Quelques index pointés avec le sourire suffiront, tout le monde comprend au quart de tour et pivote à toute vitesse pour rentrer en courant dans le monde profane, au-delà de l'enceinte sacrée encore quelques secondes.

    Le temps de cette course ajoute une troisième temporalité à celles que j'ai déjà repérées ; à quoi se mesure ce troisième temps de l'emmêlage des pinceaux, hors temps, mi-profane mi-sacré ? A la vitesse des jambes d'une petite fille de six ans, folle de joie, traversant un terrain de rugby dans sa longueur pour ne pas transgresser la règle plus longtemps... et pour voir une transfo en suspens.

    Merci au cameraman de Canal+ d'avoir montré ce moment à la fois dérisoire, drôle et édifiant : après cela, qu'on ne vienne plus me dire que le rugby est un sport de brutes.
    Au fait, l'essai d'après-dernière minute fut transformé. Maintenant je sais pourquoi on attend toujours un peu avant de frapper au but, dans un moment d'après-dernière minute où tout est pourtant déjà joué : pour que les petites filles de six ans terminent leur course.

    1 - Sur la temporalité du rubgy, lire aussi sur ce blog :  Bourgoin essouffle le temps et France-Ecosse, hymne à Saturne.

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  • Un rugby blues spectral joué par des ectoplasmes bodybuildés

    Un rugby blues spectral joué par des ectoplasmes bodybuildés
    (sur un article de Robert Redeker)

     par Mezetulle

    Je viens de lire un article de Robert Redeker paru dans la dernière livraison de la revue Les Temps modernes (n° 645-646, déc. 2007) intitulé "La Coupe du monde hantée par les spectres du rugby".  Réfléchissant sur une "mutation dont le sport a été l'objet ces deux dernières décennies" - c'est-à dire, à travers sa professionnalisation et ce qu'on medium_TempsmodernesJan08.GIFpourrait appeler une sorte de gladiatorisation, la disparition du jeu et sa dévoration par le sport-spectacle lourdement sponsorisé et manipulé par l'univers marchand -, Redeker propose une analyse sombre de la dernière Coupe du monde. Le rugby est, selon lui, le dernier produit un peu frais que le marketing sportif s'est mis sous la dent pour le placer en tête de gondole d'un supermarché où il ne pourra que se frelater et perdre toute sa saveur. Témoin, l'alignement des gabarits sur celui d'un superjoueur "robocop" en lequel on ne peut plus se reconnaître.

    La problématique des relations perverses entre jeu et sport (1) est mobilisée pour conduire à une conclusion déprimante qui convoque des ectoplasmes bodybuildés sur le terrain :

    Ce qui jusqu'il y a une vingtaine d'années n'était qu'un jeu sans prétentions, un sport amateur, est devenu un sport important. Dévoré par l'esprit de sérieux engendré par les enjeux économiques, les investissements financiers, l'obligation de faire de l'audimat [...], le rugby vient de subir une funeste mutation. Pendant cette coupe du monde, l'amateur nostalgique et éclairé n'aura pu voir que des spectres. [...] Plus le rugby s'intègre au télé-spectacle mondial, plus il se peuple de fantômes.

    Même si on n'est pas d'accord sur toute la ligne ici avec Robert Redeker, même si la supportrice du prétendu "rugby-paillettes rose vif" que je suis en prend pour son grade, même si on retrouve avec un peu d'agacement les soupirs du "tout-fout-le-camp" cher au rugby-blues, c'est toujours un plaisir de lire ses textes musclés, exaltants et dépressifs à la fois. Ce n'est pas son moindre mérite que de rappeler fortement que, un peu comme la danse, le sport consiste avant tout à bouger pour rien. 

    1 -Je me permets de renvoyer à un article sur ce sujet publié dans mon blog principal : Sport, jeu, fiction et liberté: W de Georges Perec.

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  • Comment le rose s'extrait du cacadoie

    Comment le rose s'extrait du cacadoie : le sens du contresens

     par Mezetulle

    Ouf, je sors épuisée de ma soirée télé d'hier. Le Stade français patine en 1re mi-temps, gâche l'avantage du vent, et finit très fort contre le vent pour gagner son match contre Bristol 19-11... Ils sont très fatigants à regarder. Ils sont comme la musique que j'aime : déroutante, rafraîchissante pour l'oreille, mais fatigante.

    Sur le forum de Rugbyrama, dans un post spirituellement intitulé "Ugly Shirts vs Ugly Rugby", WKM dit cela très bien. Il saisit avec beaucoup d'ironie et de sympathie cet esprit et ce démon à contresens du SF qui perd au moment où toute équipe "normale" devrait gagner et qui ne peut gagner qu'après être passé par l'enfer et le fond du trou...

    medium_SFBristol11Janv08MarchoisPhotoAP.jpgJ'ai passé une soirée crispante, à vouloir regarder et à vouloir ne pas regarder, à guetter entre mes doigts à peine écartés devant mes yeux les pénalités et les balles rattrapées par un vent hostile... à hurler en mesurant les minuscules centimètres qui ont manqué au bras de Rémi Martin pour un essai classique et autres choses du même tonneau.

    Et puis le charme est venu d'un jeu déployé et magnifique de ballons portés et de passes, étrangement, soudainement, souverainement, sur une pelouse grasse et défoncée, par une équipe couverte de boue qui aurait dû être essoufflée... Le rose vif taché de cacadoie leur va finalement très bien. Mais pas la peine de mettre le cacadoie d'avance sur le maillot : le cloaque de Jean Bouin pourvoit largement à la tâche et à la tache. Et c'est en pataugeant qu'ils deviennent assurés, aériens.

    Ils font tout de travers, à travers, malgré. De toute façon, le rugby est de travers, et sans cacadoie le rose serait trop mièvre.

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  • A coeur ovale, le rugby du commencement

    Le rugby du commencement : A Coeur ovale, de Christian Jean et Thomas Bianchin (1)

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    Des marmousets cramponnés, crottés jusqu'aux yeux et habillés en clown Auguste... Ils ont la peur et la gloire au ventre. Les matins acides de matches, ils s'arrachent à leurs peluches douillettes pour être des héros tremblants, pour entrer dans des vestiaires rudes et chaleureux, pour avaler ce qui ne passe pas. Ce qu'ils redoutent le plus est aussi ce qu'ils désirent le plus.

    Au coeur de ce magnifique coeur ovale, le rugby des cours de récréation, des cartables "bourrés de coups de poing" comme disait Nougaro et transformés en gonfles, enchante le lecteur.

    Rugby des origines bien sûr, fait d'anecdotes, de souvenirs d'enfance et de jeunesse, de Grenoblemedium_acoeurovale_33_.jpg à Pontarlier, d'Oyonnax à La Mure et à La Tour du Pin. Rugby alpin et jurassien frisquet, où la rosée et la sueur se confondent, où la mêlée fume encore plus que le brouillard, où la neige fondue sert de piste d'envol. Mais l'anecdote et le souvenir particulier, en devenant fables, se hissent (ou plutôt ramènent) à ce qui n'a ni date ni âge : on passe des origines au véritable commencement. La différence ? Les origines sont factuelles, elles vous tombent dessus, comme les fées et les sorcières penchées sur un berceau : on y est renvoyé sans cesse à ce que l'autre et l'extérieur ont choisi pour nous. Le commencement doit tout à lui-même, il n'emprunte rien qui ne lui soit essentiel et qu'il ne sache s'approprier. Le parcours qui mène des unes à l'autre s'appelle l'initiation.

    Initiation à quoi au juste ? Au rugby certes, mais à travers lui au grand écart qui relie et dissocie à la fois le dérisoire et le sublime, la nullité crasse et les palmes qui vous transportent sur un nuage, le minuscule et le grandiose. Le droit de se sentir moche et superbe, déplacé, dérapant et assuré, animal stupide et homme virtuose, tué et tueur, n'est pas réductible à une psychologie en montagnes russes : c'est une nécessité à la fois poétique et vitale.

    ça commence avec un mental de potache, de guerrier de cour d'école. C'est fait de gnons, de coups qui, dès ton enfance, font de toi un conquistador, un chef de meute, un bandit de vestiaire, un pendard de comptoir. (p. 57)

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    En lisant les textes, en savourant les photos, on comprend aussi pourquoi le chasseur aime sa proie et quelle secrète connivence lie le matador au toro, quel amour fatal attire l'alpiniste vers les horribles cimes. A ceci près que la mort est ici mise à distance et reléguée là où elle est, à l'infini : son spectre une fois balayé, ne reste finalement que l'essentiel, le partage d'une même substance qui unit le plaqueur et le plaqué, le terrassé et l'aérien.

    A ceux qui craignent que le rugby du commencement initiatique disparaisse, je proposerai une méditation sur cette photo intitulée "A tire d'ailes".

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    ça ne vous dit rien ? Mais si bien sûr, on l'a déjà (pardon : toujours) vue. J'en avais sans le savoir publié la version qu'on pourrait appeler étourdiment "paillettes", disons colorisée, par le photographe Romain Perrocheau. Merci à Christian Jean et à Thomas Bianchin de l'avoir rappelée à son identité initiale, d'en avoir donné l'essence dramatique, en noir et blanc bien entendu.

    1 - A Coeur ovale, par Christian Jean (textes) et Thomas Bianchin (photos), préfacé par Freddy Pepelnjak et Vincent Clerc, Grenoble : Cielstudio, 2006. Présentation du livre en ligne. Voir Esprit en mêlée le blog de Christian Jean, où quelques-uns des textes sont repris.

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